(... Suite de la Partie 4)
Le Cambodge entre le Siam et le Vietnam
(de 1775 à 1860)
Thèse de Khin Sok
Ed.
Ecole Française d’Extrême-Orient Paris 1991
Chapitre V
La période calamiteuse de 1835 à 1847 (p. 87-110)
La disparition, en 1835, du
roi Ang Chan, qui ne laissait pas d'héritier mâle fut à l'origine de graves
problèmes successoraux. Les quatre princesses Ang Pén, Ang Mei, Ang Peou et Ang
Snguon, ne disposaient d'aucun moyen
pour s'opposer à la politique annexionniste de la cour de Hué. Le pays khmer
était livré aux Vietnamiens. Quant aux princes Ang Im et Ang Duong, ils étaient
retenus à la cour de Siam. En dépit de cette situation déplorable, la
population khmère allait se soulever contre l'occupant.
1/ L'élévation de la
princesse Ang Mei
La cour de Hué voulut profiter
de l'absence de tout prince dans le royaume khmer pour l'annexer définitivement.
A cette fin, l'empereur Minh Mang envisagea deux procédures : la première était
une alliance entre un prince vietnamien et une princesse khmère ; la seconde,
qui ne devait être appliquée qu'au cas où la première échouerait, était
l'élimination pure et simple de tous les dirigeants khmers, y compris les
princes et les princesses.
La cour d'Annam entreprit
donc, par l'intermédiaire de son représentant à Phnom Penh, le général Truong
Kun, d'organiser un mariage entre un prince annamite et la princesse Ang Peou,
afin d'ôter tout prétexte à une invasion étrangère. Cette alliance n'était
d'ailleurs pas sans précédent, mais en 1620, c'était un roi khmer, Srey
Soriopor, qui avait recherché par ce moyen l'alliance de l'Annam pour résister
à la pression siamoise. Il avait marié son fils, le prince Chey Chettha à l'une
des filles de l'empereur d'Annam. Cette union n'eut d'ailleurs, à cette époque,
pour résultat que d'envenimer les relations avec la cour de Siam et le prix en
fut, en marque d'amitié à l'égard de Hué, la cession en 1623 du territoire de
Saïgon.
L'offre d'alliance par un
mariage faite par la cour de Hué ne suscita que l'hostilité des khmers. Quant à
la princesse Ang Pèn, elle jugea la proposition inacceptable et lui opposa un
refus catégorique, dont Truong Kun prit acte non sans quelque rancune.
Les mandarins khmers
décelaient sans peine les intentions réelles des Vietnamiens et ne se faisaient
aucune illusion sur la prochaine disparition du royaume khmer. Ils justifièrent
cependant leur refus en prétextant les différences de culture des deux nations.
Truong Kun tira de ces refus
les conclusions qui s'imposaient à lui. Il écarta la princesse Ang Pèn, et il
éleva autoritairement sa cadette, la princesse Ang Mei sur le trône du Cambodge
tout en confisquant le pouvoir.
On ne dispose sur ces
évènements que d'un seul témoignage, celui qu'Adhémard Leclère rapporte après
l'avoir recueilli lui-même auprès des fonctionnaires khmers :
"Cependant, des gens
prétendaient, avec quelque raison il semble, qu'une pareille élévation au trône
(Ang Mey fut élue reine du Cambodge) était nulle de plein droit parce que,
conformément à une tradition que personne n'avait jamais contredite
jusqu'alors, en cas d'extinction des mâles de la famille royale, les ministres
et les grands étaient tenus de choisir le roi parmi les chefs des bakous.
D'autres objectaient que la tradition ne disait pas : "en cas d'extinction
des mâles de la famille royale", mais "en cas d'extinction de la
famille royale, donc la famille royale n'est pas éteinte". Dans une
réunion secrète qui eut lieu entre de hauts personnages sur le sommet du mont
Préah-reach-tréap, près d'Oudong, ces questions furent examinées et l'un des
membres osa dire : "si l'élection ne porte pas sur un prince, elle sera
nulle ; si ce prince n’est pas accepté par le peuple et par le roi de
Siam, il y aura la guerre ; si la princesse est élue et si le roi de Siam
n’intervient pas, c’est la fin du Srok khmer et son envahissement définitif par
les Annamites ». Un religieux dit : « Alors, nous irons au
Siam ». mais ces personnages ne furent pas appelés à délibérer et
l’élection se fit sans eux. (Adhémard Leclère « Histoire du
Cambodge »). (p. 87, 88)
(…)
Pour la première fois dans son histoire, le Cambodge eut une
souveraine qui lui fut imposée par une puissance étrangère. Quelques mois après
la mort d'Ang Chan, la princesse Ang Mei, âgée de vingt ans, fut élevée sur le
trône du Cambodge par la cour de Hué. Les Vietnamiens l'obligèrent à
s'installer dans son palais de Koh Slaket pour l'empêcher de se mettre en
rapport avec la cour de Siam. Ils lui décernèrent le titre de "Ba Quan
Chua" ce qui signifie "Maître de tous les mandarins". (p. 88)
Aucun titre honorifique ne fut
offert à la princesse Ang Pèn. Les Vietnamiens sanctionnaient de cette manière
le camouflet qu'avait constitué pour eux son refus du trône et d'autre part les
rapports étroits qu'avait sa famille avec la cour de Siam. En effet, sa mère,
Mneang Tep, était la propre fille du gouverneur de la province de Battambang, ;'Abhaithibès
Bèn dont on sait l'attachement au Siam. En 1833, elle avait décidé, à l'insu du
roi Ang Chan, de demander une intervention militaire du Siam pour chasser
l'envahisseur vietnamien du Cambodge. En outre, l'un des frères de Mneang Tep,
nommé Ma, élevé au titre de Preah Ang Kêv par le roi Ang Chan, était connu
comme adversaire des Vietnamiens, et résidait, de plus, à cette époque, à la
cour de Bangkok. Pour ces diverses raisons, le roi Minh Mang ordonna à son
représentant à Phnom Penh de surveiller tout spécialement l'entourage de la
princesse Ang Pèn.
Depuis la mort du roi Ang
Chan, le roi de Siam Rama III (frère aîné du roi Mongkut) suivait les
évènements du Cambodge avec beaucoup d'attention. Il s'apprêtait à intervenir
le moment venu. En 1836, il ordonna de recenser les populations khmères et
laotiennes qui vivaient le long de la frontière khméro-laotienne qui vivaient
le long de la frontière khméro-siamoise, afin de les faire enrôler dans ses
armées. Cependant que, les princes Ang Im et Ang Duong furent conduits dans
l'ancien territoire khmer : le premier à Battambang et le second à Mongkol
Borei (à Svay Chék).
2º - L'administration
autoritaire des Vietnamiens
L'élévation de la reine Ang
Mei sur le trône du Cambodge ne constituait d'aucune manière un obstacle à la
politique annexionniste de l'Annam. La réalité du pouvoir échappait à la reine.
Elle était entre les mains du général vietnamien Truong Minh Giang. Ce dernier
entreprit ce contrôle tous gouverneurs de provinces, au besoin en éliminant
ceux dont il pouvait craindre qu'ils puissent tenir tête aux Vietnamiens. A
chaque gouverneur de province khmer fut adjoint un mandarin militaire annamite
chargé de contrôler tout à la fois son administration et de prévenir toute
activité subversive. Pour faciliter cette politique, Truong Minh Giang décréta
une réforme administrative du Cambodge qui ramenait le nombre des provinces de
cinquante six à trente-trois. Encore une fois, Adhémard Leclère est le seul
auteur à témoigner de cette réforme, et rapporte le nom des nouvelles provinces
:
Les trente-trois nouvelles
provinces devaient recevoir les noms suivants :
Nam-biang ou Trãn tay devait dorénavant être le nom de Phnom Penh.
Les noms qui suivent devaient être ceux des provinces nouvelles.
J'ai rarement pu les identifier avec les provinces qui devaient respectivement
les recevoir :
- Than thu ;
- Tam-dôn ;
- Tuy-lap ;
- Banam, pour Pak-nam, qui
devint plus tard Peam-méen-chey ;
- Balai, pour Baray ;
- Binh-thien, pour Koh-anthien
ou Koh Anchien ;
- Kha-bat ;
- La-vên, pour Prey-vêng (?) ;
- Hai-dong, pour Envichey ;
- Kim-truong ;
- Chau-trung ;
- Caâu ;
- Vang-van ;
- Ha-binh ;
- Trung-loi ;
- San-phu, probablement pour
Sâmbaur ;
- San-bôc, pour Sâmboc ;
- Tâm-vu ;
- Khai-biên ;
- Hai-tay ;
- Kha-sum, pour Kôh-Sutin ;
- Thé-lap ;
- Tâm-cai ;
- Lô-Viêt, pour Lovêk ;
- Long-tôn, pour Sâmrong-tong
;
- Quang-biên ;
- Hoa-gi (?) ;
- Chan-tai ;
- Y-gi (?) ;
- Chan-thanh ;
- Mât-luât ;
- Om-ân ;
Les deux districts sauvages
devaient recevoir les noms de : Canche, pour Krachs (Kratié), Câlinerie pour
Kanara. (Adhémard Leclère)
L'armée d'occupation
vietnamienne fut également réorganisée. Elle fut répartie en vingt-six
divisions dont l'une était chargée de l'entretien et du dressage des éléphants
de guerre.
Pour parfaire son programme,
Truong Minh Giang fit venir des civils afin d'organiser des colonies
d'implantations vietnamiennes. La présence vietnamienne civile au Cambodge,
déjà ancienne puisque des commerçants étaient déjà installés en 1835 à Phnom
Penh, résidant à bord d'embarcations ou même à terre, changeait de visage.
Quant à la population khmère,
elle fut tout entière mobilisée. Une partie des hommes était enrôlée comme
supplétifs dans l'armée, l'autre était mise à la corvée aux travaux des champs
afin de subvenir aux réquisitions de l'armée d'occupation. En outre, la
population de la région sud-ouest du pays fut enrôlée pour la construction
d'une route stratégique nommée par les Khmers Plou Yuon ce qui signifie
« la route annamite ». Cette route devait relier la capitale Phnom
Penh à Banteay Meas en passant par la province de Treang. Des postes, distants
les uns des autres d'une vingtaine de kilomètres, s'échelonnaient le long du
parcours ; ils devaient servir de relais pour le service du courrier qui était
assuré quotidiennement par trois hommes, pris à tour de rôle dans les villages
voisins. En dépit de leur caractère parfois utile, ces entreprises
vietnamiennes au Cambodge ne firent que nourrir le mécontentement de la
population.
La vietnamisation touchait
tous les domaines. Aux réformes administratives et militaires s'ajoutait une
vietnamisation active de la vie quotidienne. Les mandarins khmers d'un certain
rang, s'ils voulaient conserver leur fonction, étaient contraints de porter la
même tenue que les fonctionnaires annamites. Lors des jours fériés du
calendrier vietnamien, ils devaient se rendre à la pagode de Chruoy Changva
pour saluer l'effigie du roi Minh Mang. La politique conduite par Truong Minh
Giang au nom du gouvernement vietnamien perdit peu à peu toute mesure. Il
exigea, en effet, que les Khmers abandonnent la religion bouddhique pour
adopter la sienne. Il ordonna à cette fin que soient profanés tous les lieux
saints du culte des Khmers : les arbres de la Bodhi furent abattus, des stupas
furent détruits et des statues de bouddha brisées et jetées dans le fleuve.
En plus de la férule brutale
des occupants, une telle politique d'oppression ne pouvait conduire qu'à des
soulèvements. En 1836, dans la province de Kompong Svay, eut lieu la révolte de
Nong. En 1837, les frères Chou et Chey qui étaient probablement en charge de la
province de Kompong Som, refusèrent d'obtempérer aux ordres des Vietnamiens et
décidèrent de prendre les armes.
A cette nouvelle, Truong Kun
fit partir de Phnom Penh, une colonne composée de soldats khmers, encadrée par
des Vietnamiens, qui se dirigea vers le lieu de la rébellion. Mesurant
l'insuffisance des armes et des munitions dont ils disposaient pour faire face
à leurs ennemis, les frères Chou et Chey prirent le parti de rompre le combat
et de rechercher refuge, par la mer, au près de la cour de Siam.
3º/ L'arrestation des
princes Ang Im et Ang Duong
Privée de tout recours,
découragée par la trahison de certains des siens, écrasée par la puissance
méthodique de la politique de l'occupant, la nation khmère était sur le point
de mourir. Son dernier espoir était une famille royale dont le peuple n'avait
vu jusqu'ici que les luttes intestines, la désunion la plus égoïste et la plus
lâche.
C'est pourtant de cette famille
que le peuple attendait son salut. Il fallait donc au général Truong Kun briser
ce dernier ressort.
Spéculant sans crainte sur
l'ambition et la jalousie qui ne manqueraient pas de faire s'affronter encore
des princes khmers, il résolut de faire disparaître les deux derniers princes
susceptibles de prétendre au trône.
Vers la fin de 1839, pour ce
faire, le général vietnamien utilisa la plus simple des ruses. Il dépêcha
secrètement auprès de Ang Im trois émissaires vietnamiens chargés d'un message
dont la teneur était la suivante :
"L'empereur d'Annam m'a
envoyé comme chef d'armée, chargé d'assurer le bon fonctionnement du royaume.
Il n'a aucunement l'intention de s'emparer du trône du Cambodge. Il a souhaité
qu'un roi khmer règne selon la tradition, afin que la paix s'installe dans tout
le royaume. Sa majesté Outey Reachéa (Ang Chan), après sa mort, n'a pas laissé
d'héritier (mâle). C'est ainsi que j'ai jugé qu'il était raisonnable que la
princesse Ang Mei, votre nièce, occupât provisoirement le trône.
"Quelque temps après
cela, j'ai appris avec beaucoup de joie que votre Altesse royale, avec
l'autorisation de la cour de Siam, est venue s'installer à Battambang. Il
serait souhaitable qu'elle vint jusqu'au pays de Kampuchéa. Les dignitaires
khmers et moi-même, aiderions votre altesse à se rendre jusqu'à la capitale de
Oudong pour s'asseoir sur le trône. Les membres de la famille royale et le
peuple tout entier seraient désormais remplis de joie. » (P. 266)
Le prince Ang Im fut assez
naïf pour être séduit par ce message et pour croire à la sincérité de Trung
Kun, il se prit à rêver de la couronne.
Les émissaires de Truong Kun
prirent congé du prince et prirent tout aussi discrètement la route de
Mongkolborei où résidait Ang Duong. Ils lui tinrent le même discours qu'à Ang
Im, mais avec moins de succès car le prince comprit immédiatement le jeu des
Vietnamiens. Devant la méfiance de prince Ang Duong, les émissaires se
retirèrent prudemment. (Notre précision : Ang Duong avait comme conseiller, son
ancien précepteur le savant et sage Bandit Nong, celui qui nous a laissé les
Chroniques Royales les plus anciennes connues)
De son côté, Ang Im préparait
activement son retour au Cambodge. Craignant, comme de juste, que le prince Ang
Duong ne devienne son concurrent, il prit la précaution de dénoncer, dans un
message au roi Rama III (Notre précision : frère aîné de Rama IV connu aussi
sous le nom de Mongkut. Ce dernier était le père de Chulalongkorn, la collusion
entre le prince son frère, et les Vietnamiens, dans le but de s'emparer de la
couronne !
A peine eut-il pris
connaissance de ce message que le roi de Siam envoya deux mandarins à
Mongkolborei pour se saisir de la personne du prince Ang Duong et pour le
ramener à Bangkok en résidence sur veillée.
Il ne restait plus à Ang Im
qu'à trouver un prétexte pour quitter sa résidence. Il fit part au gouverneur
de la province ; Preah Norintheathipadei, de son désir d'aller présider une
cérémonie de Kathin à la pagode de Phneat, à proximité de la ville de Sisophon.
Le gouverneur ne fit point obstacle à ce projet, mais par précaution, il
dépêcha une petite troupe à Bakprea, au confluent de la rivière Sangkè et celle
de Sisophon, point de passage obligé pour toutes les embarcations en route vers
le Grand Lac. Parvenue à cette jonction, la barque princière se dirigea, comme
avait pu le craindre le gouverneur vers le Tonlé Sap au lieu d'aller vers
Phneat. Le prince fut aussitôt arrêté par les soldats et reconduit à
Battambang.
Inquiet de sa situation,
rendue précaire par ses projets, et ayant tout à redouter de la cour de
Bangkok, Ang Im recourut à une ruse audacieuse. Il suggéra au gouverneur que le
roi Rama III, apprenant son escapade, voudrait tout connaître sur les
émissaires de l'Annam qui l'avaient contacté. Preah Norintheathipadei fut
sensible à cette idée et à la suggestion qui lui était faite de se mettre en
route afin d'interroger ces émissaires personnellement. Il partit donc pour
Mongkolborei avec trois cents hommes à la recherche des envoyés vietnamiens.
Mettant à profit cette absence, Ang Im se rendit maître de l'adjoint du
gouverneur et prit la fuite par la rivière Sangkè. Il emmenait avec lui sa
mère, la Mneang Ros, le gouverneur adjoint, quelques hauts mandarins et une
partie de la population.
Apprenant cette évasion, Preah
Norin cacha sa colère car parmi les soldats qui l'accompagnaient se trouvaient
sans doute quelques soldats fidèles à la personne du prince. Il feignit même
d'éprouver quelque sympathie pour l'entreprise d'Ang Im, disant à qui voulait
l'entendre qu'il aurait volontiers suivi le prince au Cambodge. Constatant que
les soldats khmers n'étaient plus sur leurs gardes, il fit signe à ses proches
de les maîtriser et prit avec sa troupe, le chemin de retour, espérant encore
intercepter le prince aux abords de Battambang. C'était trop tard. Les fugitifs
étaient partis et ils avaient gagné rapidement la province de Pursat. On ne
sait rien du sort qui fut réservé au gouverneur Preah Norintheathipadei.
Le général vietnamien
responsable de la citadelle de Pursat, An Phou, ne perdit pas un instant pour
faire conduire le prince et sa suite à Phnom Penh. Le général Truong Kun
ordonna que la barque royale jette l'ancre à Chruoy Changva et que le prince
descende seul à terre pour être interrogé. Puis il fit massacrer froidement les
dignitaires d'origine khmère de la suite d'Ang Im et arrêter le prince pour
l'envoyer à Hué. Ang Im ne réalisa qu'à cet instant qu'il avait été dupé. Il
implora le général Truong Kun de lui permettre de rendre visite à ses nièces qui
étaient pratiquement en résidence surveillée à Po Preah Bat. Selon l'auteur de Robar
Khsat, cette requête mit le général vietnamien en fureur. Il insulta le
prince, lui fit subir des supplices, puis il l'expédia à Hué en passant par
Saïgon, avec le malheureux adjoint du gouverneur de Battambang.
La perfidie du général Truong
Kun ne se limita pas à cette action. Pour se mettre en valeur aux yeux du roi
Minh Mang, il lui adressa une lettre qu'il prit le soin de faire contresigner
par trois hauts dignitaires de la cour de la reine (Ang Mei). Dans cette
lettre, Truong Kun racontait que le prince avait été fait prisonnier par
l'armée vietnamienne au cours d'un combat. Etonné par ce récit, Minh Mang fit
comparaître Ang Im dans la salle d'audience et il le fit interroger. Ang Im nia
catégoriquement la version de la lettre (de Truong Kun), et il affirma en outre
que son retour au Cambodge par Pursat n'était que la conséquence de sa
nostalgie du pays khmer. Il prit à témoin le gouverneur adjoint de Battambang.
Minh Mang ne se satisfit point de l'explication du prince. Il fit comparaître
les trois cosignataires de la lettre de Truong Kun. Cela se passait en avril
1840 à la cour de Hué. Les trois dignitaires avouèrent qu'ils n'avaient apposé
leur cachet que sous la menace du général Truong Kun. Les ayant entendus, au
lieu de condamner son représentant, le roi Minh Mang ordonna qu'ils fussent
jetés dans la prison de Poulo Condore (273), les accusant d'avoir manqué de
loyauté envers leur roi (274). Le prince Ang Im fut reconduit sous bonne
escorte à Saïgon.
A la cour de Siam, le départ
du prince Ang Im et le transfert d'une partie de la population, avaient
provoqué l'indignation du roi Rama III. Il accusa le prince Ang Duong de
complicité avec son frère et l'assigna à résidence dans l'enceinte même de son
palais. Rama III ne se résolvait pas à voir la cour de Hué devenir l'unique
maître de royaume khmer. Il ordonna que fût mis sur pieds à Battambang une
équipe de dignitaires chargée de recueillir des renseignements sur le Cambodge,
aux ordres du général Padin Dechéa. Celui-ci devait sa réputation à l'exploit
qu'avait été, en 1828 la prise de la ville de Veang Chan - où régnait Chao Anu
- et la déportation massive de Laotiens au Siam.
La guerre avec l'Annam ne
devait être décidée que si le prince Ang Im était conduit à Hué. Dans une telle
hypothèse, le trône du Cambodge serait confié à Ang Duong. Pour recueillir des
renseignements sur le sort d'Ang Im, deux hommes - nommés respectivement Yâng
et Kong - prirent la route de Kompong Svay et de Baray. Ils revinrent à
Battambang pour informer Padin Déchea, qui rendit compte à son tour au roi Rama
III. Sur la fois de ces renseignements, le roi fit libérer le prince Ang Duong
et l’envoya rejoindre le général Padin. La mobilisation générale fut décrétée
dans tout le pays. Les Siamois étaient prêts à entrer de nouveau au Cambodge.
IV – L’arrestation des quatre princesses
(…)
L’arrestation des princesses
émut profondément la population khmère. Spontanément se réunit ça et là dans le
royaume autour de notables locaux pour assaillir les Vietnamiens. Ceux-ci
organisèrent l »arrestation de ceux qui pourraient être chef de révolte.
Citons comme le capture de l’Oknga Outeythiréach Hing, gouverneur de la
province de Sâmrong Tong. Our l’arrêter, le général Truong Kun voulut employer
la ruse et l’invita à venir à la citadelle de Phnom Penh. Hing qui décelait
sans peine la duplicité du Vietnamien, refusa de tomber dans un piège aussi
grossier. Il prit son cheval, réunit ses hommes, souleva ses compatriotes et
attaqua les soldats vietnamiens de la province. Afin de contre-attaquer, le
général vietnamien voulut utiliser habilement des soldats khmers contre des
Khmers de Sâmrong Tong. Il envoya donc
ceux de l’Okgna Yomarèach, qui était emprisonné à Poulo Condore. Mais
lorsqu’ils rencontrèrent ceux de Sâmrong Tong, ces soldats firent demi-tour à
la grande surprise du général (vietnamien). Il envoya un officier en mission de
renseignement dans la province de Kompong Chhnaing. Les troupes vietnamiennes éprouvaient
dans cette province les mêmes difficultés que dans la province de Sâmrong Tong.
Il sembla à Trung Kun que toutes ses garnisons étaient attaquées et il voulut
se replier sur Saigon. Mais à Kien Svay, il tomba dans une embuscade tendue par
le Thomméa Pok (Le Thomméa Pok était chargé de défendre la palais de Po Preah
Bat après le départ des quatre princesses. Le terme Thomméa pourrait être
l’abrégé de Thomméa Dêcho qui était le titre du gouverneur de Baphuon.) Le général (vietnamien) fut obligé de
rebrousser chemin pour trouver refuge dans le fortin de Phnom Penh.
Un tel nombre d’attaques et
l’initiative qui demeurait aux Khmers, avaient vraiment surpris les
Vietnamiens. Comme il était impossible d’espérer des renforts de Saigon, le
général Trung Kun se vit contraint de résister avec les seules forces dont il
disposait, tant en hommes qu’en matériel. Il fit construire dix grandes barques
pour monter une opération en direction de Kien Svay. Une partie des troupes
dont il disposait reçut mission de traquer les paysans khmers qui s’étaient
enfuis dans les forêts et de les enrôler de force dans l’armée (vietnamienne).
L’autre partie devait reprendre l’offensive contre les soldats du Thomméa
(gouverneur de Baphnom) Pok.
Durant toute une matinée, les
Vietnamiens firent pleuvoir une grêle d’obus sur la pagode de Kien Svay Khnong
où s’était concentrée l’armée khmère. Les Vietnamiens tentèrent de s’approcher
de la rive, mais Pok réussit à les repousser. Trung Kun fut même contraint de
se replier sur Phnom Penh où il fut poursuivi et harcelé par les troupes de
l’Oknga Réachdêcheah. Mais ce dernier ne parvenant pas à venir à bout des
Vietnamiens, décrocha afin de renforcer son armée en recrutant des soldats à
Baphnom. Il devait cependant y tomber dans une embuscade vietnamienne. L’Okgna
Réachdêcheah rejoignit finalement l’armée de Pok avec ses troupes afin de
défendre le palais de Po Preah Bat.
Exaspéré par la série de
petites défaites qu’il venait d’essuyer, le général Truong Kun résolu d’en
finir avec la menace de Pok. Il réquisitionna toutes les embarcations
disponibles et rassembla tous les soldats vietnamiens disponibles pour
déclencher enfin, une attaque d’envergure et mettre en déroute l’armée
conjointe de Pok et de l’Oknga Réachdêcheah.
(p. 97) : La bataille d’Oudong.
Après trois jours d’attente,
les Vietnamiens firent courir le bruit qu’ils passeraient à l’attaque dès
l’aube. Les soldats khmers et siamois reçurent en conséquence l’ordre de se
tenir prêt à repousser cette attaque. Les troupes vietnamiennes s’avancèrent
effectivement à la faveur de la nuit pour prendre position en face de la
première ligne de défense khmère, placée sous les ordres d’un officier du nom
de Lompèng Chey. Avec beaucoup de maîtrise, ce dernier ordonna qu’on ne fit
aucun mouvement mais que l’on fût prêt à rencontrer l’ennemi avant le lever du
jour. Aux premières lueurs de l’aube, les soldats vietnamiens étaient déjà
nombreux en position. Leurs canons tirèrent une grêle de projectiles sur les
troupes siamoises et khmères. Lompèng Chey pénétra avec un grand sang-froid, à
la tête d’un détachement armé de lances de bambou, dans le camp ennemi pour
transpercer la lèvre inférieure des éléphants. Effarouchés par cette manœuvre,
la cinquantaine d’animaux semèrent le désordre, piétinant les soldats
vietnamiens. Les armées siamoise et khmère prirent alors l’offensive,
surprenant les Vietnamiens, et les contraignant à se retirer vaincus dans la
panique. Quelques jours après ce cuisant échec, le chef de l’armée vietnamienne
proposa un cessez-le feu qui ne fut respecté d’aucune part. Il se replia
ensuite, avec le reste de son armée, à Phnom Penh.
(…)
Avec l’aide de l’armée siamoise, les
Khmers poursuivirent les Vietnamiens jusqu’à la province de Moat Chrouk où
s’installèrent les membres de la famille royale khmère. Libéré des Vietnamiens,
le peuple khmer se sentit revivre et vit dans le prince Ang Duong son
libérateur.
(p. 99) (La
seule offensive siamoise, elle est avortée)
L’avènement d’Ang Duong en 1843 constituait pour le Siam un succès
sensible dans la tentative d’hégémonie qu’il développait au Cambodge. Le roi
Rama III estima que la disparition d’Ang Im constituait une circonstance
favorable pour accroître encore sa mainmise sur le Cambodge. Les Vietnamiens ne
disposaient plus d’atouts majeurs, selon lui. Ils ne conservaient que des
princesses khmères dint l’intérêt politique devenait mineur. En outre le roi
Thieu Tri semblait faible et irrésolu, présentant tous les défauts de son père,
sans ses qualités. Le roi rama III crut pouvoir profiter de l’occasion pour
lancer une offensive contre le Vietnam par mer et par terre. La flotte siamoise
aux ordres d’un frère du roi, le Chaovéa Issaret Vang San, fit donc voile vers
Bantéay Meas. Les troupes qu’elle transportait, débarquèrent dans la province
de Kampot. De son côté, le prince Ang Duong, accompagné par le Preah Ang Kèv
Ma, conduisait une armée khméro-siamoise vers la province de Treang, prenant
position à proximité du canal de Vinh Té.
La première attaque contre les forces vietnamiennes fut lancée par
le Chaovéa Issaret. Au bout de deux jours d’un combat indécis, le commandant de
la flotte siamoise ordonna le repli à ses soldats, sans prendre d’avertir Ang
Duong, et il s’en retourna à Bangkok. Cette manœuvre révélait le manque de
coordination au sein de la coalition khméro-siamoise. Elle eut surtout des
conséquences fâcheuses sur le front de l’armée khmère, qui fut attaquée par les
Vietnamiens dans la nuit qui suivit la défection des troupes siamoises. Cette
attaque brusquée provoqua la panique chez les Khmers. De nombreux soldats
furent tués ainsi qu’un grand nombre d’officiers au nombre desquels le Preah
Ang Kêv Ma, frère de Mnéang Tép, l’Okna Moha Sêna Tân et le fils de l’Okna
Yomaréache siamois, Séng. Ne pouvant résister, le roi Ang Duong se replia, avec
les débris de son armée, sur Oudong. Puis il retourna à Khleang Sbêk où
résidait le général Padin Dêchea.
Le plus intéressant est l’opinion d’un
historien vietnamien nationaliste
« Le Cambodge ne resta
pas en paix. Des troubles civils y ramenèrent Siamois et Vietnamiens appelés
par l’un ou l’autre des princes khmers qui s’affrontaient. Pour prix de leur
« aide », les Siamois occupèrent en 1814 des provinces de Tonlé
Repou, Stung Treng et Mlu Prey, tandis que Minh-mang, en 1834, chercha même à
annexer le pays. Il en fit la province de Trân-tây thang, divisé, divisé en 32
phu et 2 huyên. La politique d’assimilation commença aussitôt : nomination
des fonctionnaires civils et militaires, ouverture d’écoles vietnamiennes,
contrôle du commerce, cadastre des terres, levée d’impôts sur les inscrits, les
rizières, les barques et les produits locaux. Mais les abus auxquels se
livrèrent les mandarins (vietnamiens) dressèrent le Cambodge contre
l’envahisseur. Le frère d’Ang Chan, Ang Duong (Ong Dôn) prit la tête de la
résistance avec l’aide du Siam, et mena une dure guérilla. Après la mort de
Minh-mang, Thiêu-tri, renonçant au Trân-tây thang, retira ses troupes (1841).
Cette brève d’annexion du Cambodge, coûteuse en hommes et en matériel, se
soldait ainsi par un échec. Mais la décision de Thiêu-tri était sage.
Cependant, pour avoir la paix, Ang Duong se reconnut vassal de ses deux voisins
et, en 1847, reçut, dans sa capitale leur double investiture »[1]
Remarquons que Lê
Thanh Khoi ignore totalement les aides militaires siamoises ! Il est vrai
que devant les forces de la cour de Huê, il n’y a, principalement, que des
forces Cambodgiennes, utilisant principalement les armes blanches et les
tactiques de la guérilla, soulignées par Lê Thanh Khoi. L’aide siamoise
consiste principalement à la présence du vieux général Bodin !
*
* *
Ci-dessus sont les
textes qui se rapportent à la guerre pour libérer le Cambodge de la domination
de la cour de Huê, menée par Ang Duong. L’opinion la plus proche de la réalité
est celle justement de l’historien vietnamien Lê Thanh Khôi. C’est la guerre
menée fondamentalement par les Cambodgiens qui a obligé la cour de Huê à
retirer ses troupes du Cambodge.
En ce qui concerne
la double vassalité, elle ne se réduit pas dans la signature des traités, mais
dans la réalité des faits qui suit, dans la réalité du rapport des forces en
présence après la signature du traité. D’abord Huê et Bangkok sont obligés de
satisfaire les conditions exigées par Ang Duong. N’est-elle pas une preuve de
force de la part d’Ang Doung.
D’autre part sur le plan international les
Anglais commencent la conquête de la Birmanie en 1824. En 1826 ils arrivent aux
frontières siamoises. D’autre part les Anglais commencent la Première Guerre de
l’Opium en 1840 avec la création de sa base à Hong Kong. La cour de Bangkok et
celle de Huê sont parfaitement au courant de ces évènements qui se déroulent
près de leurs frontières. Ce qui fait que Ang Duong peut entreprendre toutes
les réformes qu’il veut. Lire certains détails dans la thèse de Khin Sok, en
particulier organiser une armée bien équipée. Pour pouvoir commercer avec
l’étranger, en particulier avec Singapour, Ang Duong utilise le semi-port de
Kampot qui sera fermé au profit de Saigon durant la période coloniale. Ang
Duong frappe monnaies en argent, avec l’image de Hang, oiseau légendaire sur
une face. En perçant un trou sue le bord de la monnaie sur la tête du Hang, les
Cambodgiens, surtout les enfants, la porte en collier les premières monnaies de
notre histoire. Malheureusement pour communiquer avec le monde européen, Ang
Duong est obligé d’avoir recoure à des étrangers, comme pour communiquer avec
Napoléon III par exemple. C’est la conséquence de notre isolement, dû à notre
manque de port. Le premier véritable port ne sera créé qu’en 1968 à
Sihanoukville, avec à côté une raffinerie de pétrole. A ce moment le Cambodge
ne possédait pas de pétrole, mais une raffinerie. De nos jours, nous avons du
pétrole, mais pas de raffinerie. Curieux situations paradoxales ?
Un point très
important est la reconnaissance de Ang Duong envers les chefs de guerre qui lui
permettaient de vaincre les troupes annamites. Dans ce but nous avons interrogé
beaucoup de Cambodgiens autour de nous. Nous apprenons qu’avant 1970, certaines
familles possédaient un sabre utilisé par leur ancêtre qui ont combattu sous
les ordres de Ang Duong. Ces sabres ont le fourreau en argent et sur la lame
des inscriptions magiques qui sont sensées protéger ceux qui l’utilisent des
blessures et même des balles d’armes à feu. Avant 1970, les plus âgées de la
famille allaient, tous les ans au Phchiom Ben, nettoyer le stupa à Oudong, sur
les Monts Cheteureus, où sont inhumées les cendres de leur ancêtre, puis
organiser une cérémonie religieuse. Il est donc très important de tout faire
pour, au moins, préserver ce site où nos rois ont résidé pendant des siècles.
Au Mont Cheteureus, il y avait plusieurs pagodes dont au moins une très bien
décorée. Il est probable que les cendres de la famille d’Ang Duong et des
personnalités qui l’ont servi sont inhumées dans des stupas à côté des
nombreuses pagodes des Monts Cheteureus.
La vénération de
nos compatriotes pour les « daves » plus proches des sabres, mais
appelés par les Français : épées, est notée par Alain Forest. Notons que
la lame de ces « daves sont en acier produit à Phnom Dek. George Groslier
dit que cet acier est de la meilleure qualité de toute la presqu’île
Indochinoise depuis le début de l’ère chrétienne.
La Révolte de
1916 :
« En février, les habitants de ces dernières provinces,
« mettant en avant et comme prétexte à leur mécontentement les exactions
de certaines autorités indigènes, mais, en réalité, obéissant à la suggestion
d’influences non encore bien définies, descendirent au nombre d’environ 400
vers Kompong Thom dans l’intention, disaient-ils d’aller à Phnom Penh présenter
leurs doléances au roi. Le 16 février (1916) au matin, leur bande était
signalée à quelques kilomètres du poste. Un fonctionnaire européen étant allé
les trouver et parlementer avec eux (l’interprète
était-il Cambodgien ?) dans la
plaine de Chba Sla, obtint, après une heure de pourparlers, que la colonne
s’arrêterait au gué de Pranhâchy et attendrait le Résident à la pagode de ce
village, à 3 heures. Le rendez-vous ayant été exact des deux côtés et le
Résident étant accompagné de miliciens (sont-ils des Cambodgiens ?) en
armes, les mécontentements finirent après plusieurs heures de conversation par
admettre de renoncer à continuer leur marche sur Phnom Penh. Ils reprirent en
effet le soir même le chemin de leurs villages ». Le Résident de Kompong
Thom qui narre ces événements, rapporte aussi ce fait intéressant :
« Il existe au village de Prasath, à deux kilomètres au sud-ouest de
Barai, 2 épées sacrées (Prah Khan) qui sont tenues en grande vénération. Lors
des mouvements de 1916, le bruit ayant couru que les épées de Bari avait été
enlevées, la cour de Phnom Penh fut aussitôt en émoi et des télégrammes
officiels transmis demandant si cette nouvelle était malheureusement exacte
[…]. Chaque année d’ailleurs, ces épées sont portées cérémonieusement à Phnom
Penh et présentées à date fixe à Sa Majesté ». (M. Dufosse, monographie de
la circonscription résidentielle de Kompong Thom, Saigon)[2].
Notons
qu’au Cambodge, lors d’un mariage traditionnel, il y a la danse du
« Dave » dont les paroles sont : « Dave Oeille, Dave Ek,
Dave Loâ Chamlek, Dave Dek Kompong Svay, Dave Samrap Kapear Cheat, Kapear
Kroursar. » (Kompong Svay est dans la province de Kompong Thom proche du
Phnom Dek). Le mariage cambodgien est un des rares à comporter la présence d’un
« dave » devant les futurs époux.
D’autre part Ang Duong a nommé
un de ses valeureux chefs de guerre, le gouverneur Pok (ou Poc) Kralahom
(Ministre de la marine). Le frère cadet de Poc, Sao se trouvait dans la même
prison que la princesse Mom, seule fille de la première femme de Ang
Duong : Ong. D’après le livre de Justin Corfield
« The Royal Family of Cambodia », éd. The Khmer Language and Culture,
Melbourne, Australia, 1993, page 23 : « Princess Mom (1821 - ) : She was captured by the Vietnamese in about
1840 and imprisoned on the island of Poulo Condore. There She met a Chinese man
Sao who was also imprisonned there, and fell in love with him. Ang Duong, under
pressure from moneang Pen, mother of Norodom, agreed to their marriage and Sao
a Minister, died in1877, well respected by all those who knew him. His
widow died several years later. », d’après d’autres
sources ils seraient emprisonnés à Phnom Penh.
Poc et Sao sont frères de la
province de Battambang, des intellectuels Sino-cambodgiens. Nous avons vu plus
haut les faits d’arme du Gouverneur Poc. Ang Duong a d’abord désigné Poc comme
Kralahom (Ministre de la Marine). Puis il le nomme Ackeak Mohaséna (Premier Ministre) et Sao prend sa place de
Kralahom. Norodom Sihanouk est un des descendants de Sao et Mom.
Poc sera marié à la princesse Ou,
deuxième fille de la deuxième femme de Ang Duong : Neak Moneang Ev (ou
Eu). Parmi les descendants de Poc, il y a Poc Vanne mariée au Prince Sisowath Monireth,
oncle du roi Norodom Sihanouk. Il y a aussi Boun Chan Mol par sa mère Poc Loun
sœur aînée de Poc Hell, père de Poc Vanne. Ce qui fait que Boun Chan Mol et Poc
Vanne sont cousins germains.
Ang Duong choisit l’un des
quatre titres pour les princes et princesses. Certains princes et princesses
ont le rang de Samdach (une façon d’anoblir). En 1848, Ang Duong élève au titre
de Samdach deux de ses filles, parce que mariée à un homme issu du peuple, une
princesse perd son titre. En l’anoblissant Ang Duong anoblit son mari. Il
s’agit des princesses Trâmol et Ou (mariée
à Poc) qui portèrent respectivement les titres de Samdach Preah Thida Preah
Moha Khsâtrei et Samdach Preah Thida Preah Srei Varasat. (Kin Sok p. 187 en
note.). Ce sont des titres donnés à des épouses du roi (Khin Sok, thèse, page
187) A ce titre, lors de leur mariage, elles ont droit à des cérémonies
particulières qui leurs sont réservées exclusivement (thèse de Khin Sok, p.
187). Il n’existe pas au Cambodge d’autre moyen que celui exposé ci-dessus pour
entrer dans la noblesse. En France Napoléon a créé la Noblesse d’Empire,
héréditaire pour les Maréchaux qui se sont distingués dans les combats. C’est
une sorte de noblesse d’épée de l’ancien temps. Ils sont maintenant classés
comme la Noblesse d’Empire. Au Cambodge les titres des personnes anoblies, ne
sont pas héréditaires comme en France.
La famille Poc choisit Vat Unnalom,
comme pagode familiale, c’est la pagode la plus ancienne de Phnom Penh. Elle
est fondée au XVè siècle. Le nom de cette pagode vient du stupa situé au
Sud-Ouest de la pagode qui daterait de la période angkorienne et toujours
vénéré. Le nom Unnalom vient de la relique que ce stupa aurait contenu :
un poil (Lomâ), de la « touffe qui marquait le front du Bouddha entre les
sourcils (Unnâ) » (Coedes 1913), relique qui a été transportée à Oudong en
1909. (Guide Archéologique du Cambodge, tome 1 « Phnom Penh et les
Provinces Méridionales, éd. Reyum 2009, p. 12).
Ang Duong n’a pas
oublié les autres valeureux chefs de guerre qui lui permettent de vaincre
l’armée de la cour de Hué. Il les nomme chefs de provinces et de districts. Ce
qui lui a permis d’avoir un pays pacifié pour la première fois. Il réorganise
le pays, organise une armée avec des armes à feu, développe l’économie et entreprend
de faire du commerce avec le monde extérieur par le port de Kampot. C’est un
commerce prospère. Dans le texte que nous citons plus loin, bien après
l’arrivée des Français, durant les années 1870, il y avait 60 bateaux au large
de Kampot.
Ang Duong est notre
dernier grand roi dans un pays indépendant et prospère. Il avait comme
précepteur le savant Bandit Nong, celui qui nous a laissé les plus anciennes
Chroniques Royales. Il est le dernier roi à nous laisser ne nombreux écrits en
langue nationale.
Les cendres des
princes, princesses et personnalités durant le règne d’Ang Duong sont dans des
stupas à Oudong, sur les flancs des monts Cheteureus, avec de très belles
pagodes, maintenant probablement laissées en abandon, hélas !
Ce qu’il y a
d’intéressant est le fait que Ang Duong ait pu envoyer une armée pour aider le
soulèvement des Cambodgiens du Kampuchea Krom contre les Annamites pour aider
les Français. Mak Phoeun a écrit un article sur ce sujet d’après les Chroniques
Royales (nous diffusons en fichier joint cet article). Ci-dessous quelques
extraits :
D’après Mak Phoeun,
dans son article « La frontière entre la Cambodge et le Vietnam du XVIIè
siècle à l’instauration du protectorat français, présentée à travers les
chroniques royales khmères » dans « Les Frontières du Vietnam »,
sous la direction de P.B. Lafont, Ed. L’Harmattan, Paris 1989, p. 136 à 155,
l’occupation et l’installation des Français en Cochinchine s’est appuyée en
grande partie par une armée cambodgienne, commandée par le général Kaep,
envoyée dès 1958 par le roi Ang Duong et avec la complicité active des
autorités et de la population cambodgienne locale. (En fichier joint le texte
de Mak Phoeun)
« En 1858, alors que les
Français étaient en train d’opérer en pays vietnamien, le gouverneur de la
partie khmère de Peam (Hatien), l’Ukana Rajasetthi Kaep, alla reprendre, sur
ordre du roi Ang Duong, la province de Treang Troey Thbaung (viet. Tinh-Biên),
et aussi attaquer les provinces de Bassac, de Preah Trapeang, de Krâmuon Sar,
et de Moat Chrouk. Après l’accession au pouvoir en 1860 du roi Norodom, les
chroniques royales khmères notent que ce monarque fit de ce même gouverneur son
ministre de la Guerre et lui confia de nouveau le commandement des troupes
opérant au sud du canal de Prêk Chik, (le nom exact en khmer du site de
Tinh-Biên est Kompong Krâbau. En 1869, le géologue M. A. Petiton fait état
encore du « fort cambodgien de Tinh-Biên » et réclame un « guide
parlant cambodgien » pour pouvoir travailler dans ce pays (M. A. Petiton,
p.31 – 32)). Dans une note rédigée par Doudart de Lagrée, celui-ci indique que
le gouverneur Kaep, à la suite d’hostilités entre Khmers et Vietnamiens au
sujet Chams et des Malais, poursuivit les Vietnamiens, Chams et Malais jusque
dans Treang Troey Thbaung, s’y maintint, et envoya régulièrement le tribut à la
cour d’Oudong « sans objection de la part des Annamites », et cela
jusqu’à l’arrivée des Français, ce qui revient à dire que depuis le événements
de 1858 les Cambodgiens étaient redevenus maîtres d’une partie de leurs anciens
territoires situés au sud du canal de Prêk Chik, notamment de cette province de
Treang Troey Thbaung qui, partant de la partie centrale du canal de Prêk Chik
et englobant la région de Svay Tong ( Tritôn), s’étendait au moins jusqu’à
Phnom Thom (viet. Nui-sâp) au pied duquel coule le canal de Krâmoun Sar.[3]
D’autres documents
confirment qu’à l’arrivée des Français, les provinces de Treang Troey Thbaung,
de Krâmuon Sar, de Hatien entre autres, étaient administrées par la cour
d’Oudong et dont les habitants sont majoritairement des Cambodgiens. Les
Cambodgiens ont aidé les Français à s’implanter au Kampuchea Krom. Nous
souhaitons que nos compatriotes lisent attentivement l'article de Mak Phoeun,
et fassent des recherches plus approfondies sur ce très important sujet.
Dans les articles « L’Insurrection
Nationale de 1885 – 186 » parus dans Etudes Cambodgiennes, Adhémard
Leclère confirme que Peam est territoire cambodgien. Leclère ignorait que Peam
est le nom cambodgien de Hatien. Plus bas, Etienne Denis écrit que pour la
Société Denis Frère, la première société installée au moment de la création du
port de Saigon, encore en activité à Bordeaux, Hatien, dans les années 1870,
faisait encore partie du royaume du Cambodge.
Ce fait est confirmé par Milton E. Osborne dans
« The French Presence in Cochinchina and Cambodia », éd. White Lotus Press, Bangkok 1997, pages 202, 203.
“Le Myre de Vilers saw a better way to attack the problem, and his
recommendation point to one of the significant accompaniments of the first
twenty years of French rule in Cambodia. It was in France’s interest, he noted,
to give even greater encouragement to immigration of Vietnamese into Cambodia. The
continual seepage of Vietnamese into the regions about Ha-Tien and Chau-Doc had
transformed those areas into Vietnamese territory. The same could happen
throughout Cambodia. No precise figures exist for the Vietnamese immigration
into Cambodia that took place in the nineteenth century, following the
establishment of the protectorate. There had been earlier settlement during the
grim days of the thirties and forties, when a Vietnamese general ruled in Phnom
Penh, and certain commercial endeavors had already become Vietnamese monopolies
before the French arrival. The biggest fishing enterprises on the Great Lake,
for instance, were in Vietnamese hands (Report from Leclère to Resident
Superior of Cambodia, Phnom Penh 14 June 1901). The Catholic
missionaries noted the spread of Vietnamese settlement along the Mekong as far
as north as Chhlong (Lettre commune, N° 14 Paris, 31 décembre 1883).
Nothing would be simpler, Le Myre de Vilers argued, than to profit from
this immigration into Cambodia. Indeed, it was in France’s fundamental
interest to do so. He believed that within fifty years the Vietnamese would
constitute the most important element of Cambodia’s population. When that
situation had been achieved, Cambodia, and the Cambodians, would no longer
present a problem.
“We will lose our time in trying to galvanize this race that a fatal law
seems to have condemned to disappear. In intervening in its administration, we
would create innumerable difficulties without obtaining any result, for we
would have most grave social issues.” [4]
Ainsi Milton E.
Osborne confirme que les provinces de Ha-Tien et Chau-Doc étaient encore à majorité
cambodgienne en 1883. Notons aussi que tous les documents cités par Osborne,
concernant la présence des Vietnamiens au Cambodge, sont datés après l’arrivée
des Français dans la région en 1860. Khy Phanra dans sa thèse décrit l’arrivée
des premiers Annamites au Cambodge, à partir de l’arrivée des Français en
Cochinchine :
(
[1] Dans
« Histoire du Vietnam, des origines à 1858 » par Lê Thanh Khôi, Ed.
Sudestasie, Paris 1992, page 363.
[2] « Cambodge »,
article d’Alain Forest, dans « Histoire de l’Asie du Sud-Est, Révoltes
Réformes, Révolutions » textes réunis par Pierre Brocheux, Ed. Presse
Universitaire de Lille, 1981, p. 73.
[3] Pages 148 – 149. Une photocopie l’article de
Mak Phoeun, en PDF, peut être envoyée en fichier joint sur demande.
[4] Le Myre de Vilers to the Minister of Colonies,
Saigon, 19 November 1881.
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