(... Suite de la Partie 7)
La frontière entre le
Cambodge et le Viêtnam
du XVIIe siècle à
l’instauration du protectorat français
présentée à travers les
chroniques royales khmères
Mak
Phoeun
Jusqu’au
milieu du XVIIe siècle, bien que la limite septentrionale du pays
khmer dans sa partie Est, ait été la région de Khône et bien que la limite
méridionale du pays viêt ait été le col de Cù-mông en 1471, le cap Varella en
1611 et la région de Cam-ranh en 1653[1],
il n’y avait pas de contacts frontaliers entre les deux pays. En effet, le pays
viêt, dans son expansion vers le Sud, n’avait jamais poussé sa frontière
occidentale à l’est du piedmont de la Chaîne Annamitique tandis que de son côté
le Cambodge, bien qu’il ait entretenu des relations suivies avec les tribus
proto-indochinoises jusqu’au cœur même du Darlac[2],
n’avait pas non plus poussé sa frontière orientale vers la région des hauts
plateaux. De ce fait, les deux pays étaient séparés par un large hinterland,
qui demeurait une zone inhospitalière peuplée de tribus protoindochinoises plus
ou moins indépendantes. Une preuve de cette absence de contacts frontaliers
nous est fournie par le Néerlandais Van Wuysthoff qui, lors de son voyage du
Cambodge au Laos en août 1641, fait bien état de l’existence d’une région de
Phonongh (Phnong) – c’est-à-dire peuplée de proto-indochinois, en l’occurrence
l’actuel Darlac, qu’il mentionne être pour une moitié sous l’influence khmère
alors que l’autre moitié s’étendait vers la côte du Campā – mais qui ignore
totalement les Vietnamiens[3].
Cette situation n’est pas pour nous surprendre puisqu’à l’époque il n’y avait
pas à proprement parler de frontières communes, au sens occidental de la
géographie politique actuelle, entre le pays khmer et ses voisins.
Pratiquement, le Cambodge était séparé de ces derniers par une sorte de
zone-tampon plus ou moins étendue, qui jouait le rôle de frontière, et
celle-ci, pour la partie nord-orientale du Cambodge était constituée par un maquis
d’accès difficile et généralement peu pénétré.
Après
deux attaques siamoises que le Cambodge repoussa en l622 et 1623, le seigneur
vietnamien Sãi Vúo’ng envoya en 1623 une ambassade auprès du roi khmer Jayajetthā
II pour lui demander la cessation provisoire des douanes[4]
de Prei Nokor (située sur le site de l’actuel Saigon) et de Kampong Krâbei (qui
se trouvait là où est aujourd’hui Bên-nghé). Préludant à l’annexion de la
région du delta de Daung Nay (viêt. Ðông-nai) par les Vietnamiens, cette
cession provisoire ne mit pourtant pas encore en contact direct les pays
khmer et viêt car Prei Nokor et Kampong Krâbei n’étaient que des enclaves
situées bien loin à l’intérieur des frontières khmères. Confirmant ce fait, les
chroniques royales du Cambodge[5]
pour la fin du règne de Jayajetthā II 1627), notent comme auparavant, que le
Cambodge s’étendait à l’Est jusqu’à la région de Barea (viêt. Bà-ria) et de
Daung Nay et était limitrophe pour cette partie de son territoire des provinces
de Phanri-Phanrang du Campā.
De la première intervention militaire vietnamienne au
Cambodge à fin du XVIIe
siècle
La
première intervention militaire vietnamienne au Cambodge – qui eut lieu en 1658
sous le pretexte d’une violation de frontière alors qu’une telle frontière,
pour la partie méridionale du domaine des Nguyên, n’existait pas encore – ne
sembla pas en avoir pour résultat une quelconque annexion de territoire khmer
ou une quelconque rectification de la frontière du Cambodge. Par contre de
nombreux sujets Vietnamiens en profitèrent pour s’établir dans ce vaste
territoire qu’était la province khmère de Daung Nay et la cour de Huê fit pression
sur celle d’Oudong pour qu’il leur soit laissé entière liberté de circulation
et d’occupation des sols, ce qui leur permit d’envahir progressivement cette
région et de préparer son annexion définitive[6].
L’assassinat
en 1672 du roi Paramarājā VIII (Ang Sūr) entraîna la fuite de l’ubhayorāj Rāmādhipatī (Uday Ang Tan’) en
pays Vietnamien et une intervention militaire de la cour de Huê en pays khmer,
en faveur de ce prince en 1673. Deux camps opposés se firent la guerre
plusieurs années durant avec des fortunes diverses, mais l’alliance avec les
Nguyên contractée par l’un des deux camps et l’aide vietnamienne qui en
découlait allaient coûter très cher au Cambodge, puisqu’en fait elles ne firent
qu’ouvrir à nouveau la voie à l’établissement des Vietnamiens en pays khmer et
conduire finalement à l’annexion pure et simple par les Nguyên de plusieurs
provinces cambodgiennes. Jusqu’en 1691, le Cambodge conserva ses frontières
intactes. Mais à la mort de l’ubhayorāj Padumarājā ( Ang Nan’), les
chroniques royales khmères nous apprennent que le seigneur de Huê ordonna
d’occuper de force les provinces cambodgiennes de Prei Nokor, de Barea et de
Daung Nay, qu’il y installa des troupes et des postes de garde, et que le roi
d’Oudong Jayajetthā III ne put les reprendre[7].
Il semble toutefois que l’occupation vietnamienne de ces provinces frontières
ne fut pas complète puisque les chroniques royales précisent qu’à la suite de
celle-ci, plusieurs districts cambodgiens appartenaient aux Vietnamiens, ce qui
laisse donc à croire implicitement que d’autres non exactement déterminés ne
leur appartenaient pas encore. En réalité, les Vietnamiens devaient occuper
seulement certains points précis, mais d’autres parties de ces provinces
restaient khmères (système de la « peau de léopard»). Cette situation nous
paraît confirmée par le fait que lors d’une autre attaque vietnamienne sous Srī
Dhammarājā II (1709-1714), les chroniques royales khmères signalent que les
troupes vietnamiennes, en venant au Cambodge, attaquèrent des districts grands
et petits de la frontière jusqu’à la province de Prei Nokor (qui allait être
par la suite transformée par Huê en Gia-dinh), ce qui revient à dire que ces
districts n’étaient pas à cette époque soumis aux autorités vietnamiennes[8].
De leur côté, les textes historiques vietnamiens, tout en notant les
interventions militaires de Huê dès 1673, font état dès 1698 de la création par
les Nguyên du dinh de Phiên-trân (Gia-dinh) et du dinh de
Tran-bien (Bien-hoa), ainsi que la constitution du huyên de Tân-bình à
Saigon et du huyên de Phúóc-long dans le Ðông-nai, où furent placés des
fonctionnaires et des garnisons[9].
Ces données quelque peu contradictoires ne nous paraissent pas surprenantes,
les annales vietnamiennes ayant l’habitude de noter sur le papier, pour les
pays voisins, la création de préfectures englobées dans le domaine des Nguyên
avant que les territoires supposés relever de ces préfectures soient réellement
et totalement ou occupés ou vietnamisés.
La première
moitié du XVIIIe siècle
Au
début du XVIIIe siècle, la frontière khméro-vietnamienne passait
donc par Barea, Daung Nay et Prei Nokor, mais ces points étaient simplement des
repères car la frontière linéaire – qui est une notion qu’apporteront les
Occidentaux – n’existait pas ; pour les Khmers la frontière était une zone plus
ou moins large suivant les endroits et jalonnée par quelques points précis. De
ce fait, il est très difficile, les points cités mis à part, de dire exactement
où cette frontière passait.
La
première moitié du XVIIIe siècle fut marquée par des rivalités entre
princes Khmers, qui aboutirent à la prise de pouvoir en 1714 par le roi Kaev
Hvā III (Ang Im), en partie grâce à l’appui des Vietnamiens. Sous le règne de
son fils et successeur Paramarājā IX (Sattha Ang Jī), un mouvement populaire
anti-vietnamien naquit en 1730 dans la province de Ba Phnom, ce qui amena par
deux fois les armées des Nguyên au Cambodge, mais elles furent les deux fois
repoussées. Bien que notant ces attaques, les chroniques royales khmères ne
font pas état à la suite de celles-ci de l’annexion de territoires Khmers par les
Vietnamiens et elles se contentent de signaler que les troupes étrangères,
après avoir été repoussées, regagnèrent leur pays. Par contre, les textes
historiques vietnamiens mentionnent que les autorités de Hué s’emparèrent de
nouveaux territoires cambodgiens à cette époque puisque selon eux, en 1732
furent créés le dinh de Long-hô
(Vinh-long) et le châu de Ðiánh-viên
(région de My-tho)[10].
C’est seulement faisant le récit touchant le troisième avènement de Srī
Dhammarājā II en 1738 (après le renversement de Paramarājā IX, qui s’enfuit en
pays viêt) que les chroniques royales font état des frontières du royaume khmer[11],
en mentionnant d’une part que ce pays était limitrophe à l’est des «Vietnamiens
de Rong Damrei»[12]
– ce qui revient à dire que ces derniers étaient parvenus à cette époque dans
la partie sud-orientale de la province de Tây-ninh – et d’autre part que le
Cambodge s’étendait au sud, sur la rive orientale du Tonlé Thom (Mékong)
jusqu’à Koh Tèng (viêt. Cùlao-giêng), cette île faisant partie du territoire
vietnamien, et sur la rive occidentale jusqu’à la mer, le territoire khmer
comprenant Moat Chrouk (viêt. Châu-dôc), Tuk Khmau (viêt. Ca-mâu) et la côte.
Cette donnée permet dans une certaine mesure d’avoir une idée assez nette des
frontières khméro-vietnamiennes à cette époque, les points avancés de la
poussée vietnamienne étant Rong Damrei (un peu à l’ouest de Trâng-banh) et Koh
Tèng. Les Cambodgiens conservaient donc encore tout le territoire s’étendant
sur la droite du Mékong, mais les Vietnamiens s’étaient emparés d’une grande
partie de la rive gauche à savoir, en gros, des provinces de Daung Nay et de
Barea, de la portion de territoire située au sud-est de Rong Damrei jusqu’à
Prei Nokor et de la portion allant de cette localité jusqu’à Koh Tèng. Par contre,
il semble que les provinces de Peam Mésâr (viêt. My-tho) et de Longhor (viêt.
Vinh-long), contrairement à ce que notent les textes vietnamiens, n’étaient pas
encore tombées sous la tutelle vietnamienne.
Ces
frontières de 1738 allaient bientôt être franchies par les sujets des Nguyên
qui vinrent également s’implanter dans les provinces situées de l’autre côté du
Fleuve Antérieur. C’est en réaction contre ces empiètements que vers le milieu
du XVIIIe siècle[13],
l’Ukañā Narend Tuk, gouverneur de la province de Bassac, entreprit de se son
propre chef d’expulser ces étrangers du territoire khmer et, se rendant
lui-même sur la rive gauche du Fleuve Antérieur, il les poursuivit jusqu’à Koh
Hông/Peam Mésâr (viêt. Gò-công/My-tho) où les deux partis s’affrontèrent.
Prenant pour prétextes ces actions – et dans le but d’agrandir son domaine,
ajoutent les chroniques royales khmères – le roi vietnamien Võ Vu’ong
(1738-1765) fit envahir le Cambodge l’année suivante (1750) par ses troupes, à
la tête desquelles fut place l’ancien roi khmer Paramarājā IX renversé en 1737.
Après avoir vaincu le gouverneur de Bassac à Koh Hông/Peam Mésâr, les troupes
de Huê parvinrent jusqu’à Phnom-Penh et Oudong dont ells s’emparèrent. Une
contre-attaque khmère réussit à les repousser. C’est à la suite de cette attaque
des Nguyên que certains auteurs européens attribuent la prise de possession par
ceux-ci des territoires faisant partie des deux rives du Fleuve Postérieur
(Bassac)[14].
Il semble qu’il n’en fut rien, les chroniques royales khmères ne faisant pas
état de cette prise de possession et notant de plus que les troupes
vietnamiennes furent contraintes de se retirer du Cambodge. De leur côté, les
missionnaires occidentaux qui se sont rendus au royaume khmer en 1751 et sont
arrivés à la « barre » du Mékong à la veille de la fête de St-Joseph,
constatent que de à la Colompé (Phnom-Penh), dans les différentes îles et
rivières où ils sont passés, les Vietnamiens étaient totalement absents, ayant
été exécutés ou s’étant enfuis en raison de l’état de guerre. Selon ces missionnaires,
le massacre des Vietnamiens était général depuis Cahon (qui dépendait de
Saigon) jusqu’à Hà-tiên[15].
A l’aube du troisième quart du XVIIIe siècle, la frontière entre les
pays khmer et viêt paraît donc toujours être passée par Rong Damrei et Koh Tèng,
sans pour autant que la région de Koh Hông/Peam Mésâr soit passée sous la
tutelle de Huê.
Le troisième
quart du XVIIIe siècle
Le retrait des troupes
vietnamiennes ne diminuait ni leurs pression ni leurs menaces, comme en
témoigne une note de Mgr Lefèvre, datée d’octobre 1755, qui écrit que si la
question de la paix n’était pas réglée, « les Cochinchinois inonderaient encore
ce royaume (khmer) » et une letter
du P. d’Azéma, datée de décembre de la même année dans laquelle il note que des
deux côtés, on ne cherchait qu’à se supplanter, les Vietnamiens demandant
beaucoup, les Cambodgiens promettant beaucoup mais tenant rien, ce qui fait que
de longtemps il n’y aurait aucune paix véritable entre les deux nations[16].
En ce début de la seconde partie du XVIIIe siècle, les chroniques
royales khmères ne font pas état d’annexions de la part du Viêtnam alors
que les annales vietnamiennes portent qu’en 1756 la cour khmère fut obligée de
céder à Huê le territoire situé entre le Gia-điánh et le bras du Mékong passant
par My-tho, qui fut transformé en préfectures de Tam-đôn et de Xôi-rap, et
l’année suivante une partie de Travang (Trà-vinh, khm. Preah Trâpeang) et de
Bassac. Les mêmes annales vietnamiennes dissent encore qu’à la suite d’une
nouvelle crise intérieure cambodgienne et d’une aide de Mac Thiên Tú[17]
au roi khmer Nārāy(n) Rājā (Ang Tan’), le territoire cambodgien de
Tâm-phong-long (situé au? dessus de Bassac, et aussi de Preah Trâpeang, en gros
sur les deux rives du Fleuve Postérieur) fut cédé aux Nguyên qui y créèrent les
dao de Khong-dau à Sa-đéc (khm. Phsa Dêk), de Tân-châu à Tiên-giang et
de Châu-đôc à Hâáu-giang. Toujours d’après les annales vietnamiennes, cinq
autres districts : Cân-bôt, Vung-thóm, Chân-sum, Sai-mat, Linh-quinh (khm.
Kampot, Kampong Som, Chœung Kanhchom, Banteay Meas, Prei Angkunh) furent cédés
à Mac Thiên Tú, et ce dernier créa deux nouveaux đao : Kiên-giang à
Raách-hiá (khm. Krâmuon Sâr) et Long-xuyên à Cà-mâu (khm. Tuk Khmau)
(1759-1760)[18].
Du fait du silence des chroniques khmères, les données ci-dessus
peuvent poser problème, surtout en ce qui concerne les territoires khmers
situés sur les deux rives du Fleuve Postérieur (Bassac). Les missionnaires
français laissent entendre nettement qu’à cette époque l’autorité des Nguyên
n’avait pas encore franchi le Fleuve Postérieur ce qui revient à dire que tout
le Transbassac restait cambodgien. Ainsi Mgr Piguel, proposant le partage des
compétences territoriales des missionnaires, écrit en 1768 que la
Basse-Cochinchine était divisée en trois provinces, à savoir Ðông-nai, Saigon
et Long-hô, ce qui laisse à penser que les autorités de Huê ne s’étaient établies
que sur le territoire s’étendant jusqu’à une partie du Fleuve Postérieur ; la
province de Preah Trâpeang, que Mgr Pigeul ne mentionne pas, demeurent
certainement khmère, de même que Bassac, que Mgr Pigeul précise être un port du
Cambodge[19].
Écrivant la même année, le P. Levavasseur, qui avait un moment cru, sur la
fausse indication d’un guide, qu’une partie du fleuve Bassac relevait de Mac
Thiên Tú, précise qu’il n’en était rien, le territoire s’étendant depuis «
Chiconchon » (Chœung Kanhchom) jusqu’à ce fleuve relevant en réalité du
Cambodge[20],
y compris l’agglomération de Moat Chrouk (viêt. Châu-đôc) bien que cette dernière
localité soit aussi peuplée de Cochinchinois. Il faut encore observer que d’un
autre côté, le retrait des troupes siamoises – qui étaient venues attaquer le
Cambodge en 1771 – s’accompagna de l’installation du prince khmer Rām (Ang
Nan’), protégé de la cour de Thonburi, dans la région de Kampot où il soumit à
son autorité les provinces environnantes ; Mac Thiên Tú après avoir repris un
moment la province de Banteay Meas, se retira finalement dans la province de
Tuk Khmau[21].
De ce fait, l’autorité de ce gouverneur ne s’exerça plus guère que sur un
domaine réduit, qui ne comprenait plus ni Kampong Som, ni Kampot, ni Treang, ni
Banteay Meas soumis au prince khmer Rām (Ang Nan’), et qui s’étendait sur la
région côtière allant peut-être du site même de Peam, complètement détruit,
jusqu’à la province de Tuk Khmau où se trouvait sa résidence. A la fin du
troisième quart du XVIIIe siècle, la frontière khméro-vietnamienne
passait donc par Koh Hông, Peam Mésâr, Longhor et Phsa Dêk et devait grosso
modo se prolonger jusqu’à la rive gauche du Fleuve Postérieur, mais le
territoire entourant Preah Trâpeang demeurait toujours cambodgien.
Le dernier quart du XVIIIe siècle
La
révolte des Tây-són eut pour résultat l’arrivée sur le territoire khmer de
nombreux Vietnamiens qui, fuyant la guerre et la misère, vinrent s’établir dans
les provinces cambodgiennes et, tout comme leurs compatriotes des temps passés,
ils ne quittèrent pas ces province d’accueil, mais s’y implantèrent, ce qui
conduisit à nouveau à une modification ultérieure des frontières. Après une
attaque vietnamienne infructueuse en 1776, le monarque khmer chargea son
Premier ministre Cau Ĥvā Mū – le fameux Kikric des textes européens – d’aller
prendre le gouvernement des provinces de Bassac, de Preah Trâpeang et de
Krâmuon Sâr, ce qui montre que le Cambodge continuait à exercer sa souveraineté
d’une part sur les provinces du Transbassac et d’autre part sur une partie de
la rive orientale du Fleuve Postérieur[22].
Cette souveraineté khmère est largement confirmée par les missionnaires.
Écrivant le 18 juin 1776, Mgr Pigneaux dit que le gouvernement de Cancao (khm.
Peam, viêt. Hà-tiên) était à trois journées de la Cochinchine[23],
reconnaissant ainsi implicitement que ce gouvernement n’était pas limitrophe du
pays viêt et que la «soudure» entre les deux entités était loin d’être faite.
Écrivant le 26 juillet de la même année, M. Le Clerc note que la guerre de
Cochinchine amena des « voleurs » jusqu’au chemin de Bassac, ce qui conduisit
le roi du Cambodge à y envoyer une armée pour dégager ce chemin – ce qu’elle
fit – précisant plus loin que le Premier ministre Kikric était déjà à Bassac[24],
confirmant ainsi que le Fleuve Postérieur et les provinces riveraines
relevaient de la cour d’Oudong. Après la grande révolte de 1779 qui aboutit à
l’accession au trône khmer du jeune roi Nārāy(ç) Rāmā (Ang En), les luttes
entre les dignitaires Khmers reprirent, les uns prégnant le parti des Tây-sòn,
les autres s’appuyant sur les Siamois qui aidaient alors le prince vietnamien
Nguyên Ánh. Cependant, la situation des frontières ne sembla pas beaucoup évoluer.
Faisant état des diverses batailles ayant eu lieu dès 1787 dans le Kampuchea
Krom (Bas-Cambodge), notamment dans la province de Bassac, entre les troupes
khméro-siamoises soutenant Nguyên Ánh et celles des Tây-són qui eurent le
dessous, les chroniques royales khmères mentionnent que le prince vietnamien
(le future Gia Long) reconnut explicitement que la province de Bassac faisait
partie du territoire cambodgien[25].
Les textes historiques vietnamiens reconnaissent aussi ce fait puisqu’il est dit
que le « phú de Ba-tac [Bassac], appartenant au Cambodge, les environs de ce
phú furent laissés à ce royaume » (1789)[26].
Les chroniques khmères notent de plus qu’à la suite de leur victoire, les chefs
khmers invitèrent les habitants à réintégrer leurs villages, puis chargèrent
des mandarins et des chefs militaires de rester garder les provinces pacifiées
à savoir Bassac, Preah Trâpeang, Krâmuon Sâr, Preah Stung (viêt. Mac-cân-dung),
Chas Sdau et Moat Chrouk[27],
en un mot tout le Transbassac et une partie de la rive gauche du Fleuve
Postérieur.
De la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu XIXe
siècle
L’annexion des provinces khmères par les Vietnamiens à cette époque a
été consignée dans une lettre du roi khmer Hariraks Rāmā (Ang Tuon) adressée en
1856 à l’empereur Napoléon III. En attirant l’attention de l’Empereur des
Français sur les droits territoriaux cambodgiens sur les terres de la future
Cochinchine Française, le roi khmer signale que le future empereur vietnamien
Gia Long, après s’être enfui de Bangkok, s’était d’abord fixé au pays de Preah
Trâpeang[28]
où il avait reçu de la cour khmère des secours en hommes. Après avoir recouvré
son trône, Gia Long, considérant l’aide que les habitants de Preah Trâpeang lui
avait fournie, avait demandé au roi khmer d’exempter ce territoire de tout
tribut et de ne pas soumettre à la corvée ses habitants. « Comprenant ce
langage de paix », le roi khmer avait acquiescé, ce qui montre que pendant les
dernières années du XVIIIe siècle, le territoire entourant la bouche
du Bassac faisait encore partie du domaine khmer. Mais la suppression des
impôts et la dispense des corvées accordées aux habitants de ce territoire leur
conféra un statut un peu particulier qui conduisit de facto à l’abandon
progressif de la souveraineté de la cour khmère sur ce territoire. Et ceci
explique que Gia Long ait pu s’en emparer quelques années plus tard[29].
Les dissensions entre le roi Uday Rājā (Ang Cand) (1797-1834) et son
frère Jayajeþþhā (Ang Snuon) facilitèrent une nouvelle fois les ambitions vietnamiennes
et ne firent que jeter le monarque khmer dans une dépendance de plus en plus
étroite vis-à-vis de la cour de Huê, ce monarque n’ayant pratiquement pas les
moyens de s’opposer à ses agissements. Illustrant cet état de fait, les annales
vietnamiennes enregistrent sous Gia Long plusieurs annexions, découpages
territoriaux et changements de noms de préfectures et de districts, en
particulier en 1803. Après avoir absorbé en 1809[30]
par une décision unilatérale la province de Peam, Gia Long fit moins d’une
dizaine d’années plus tard creuser un canal reliant d’une part Moat Chrouk à la
mer et d’autre part Moat Chrouk au Fleuve Antérieur – il est connu sous le nom
de Prêk Chik (viêt. Vinh-t´ê et Vinh-an) – , élever une forteresse à Moat
Chrouk, installer des douanes sur les rives du Bassac et du Fleuve Antérieur,
traduisant ainsi la volonté de la Cour du Huê de poursuivre son expansion vers
le cœur même du Cambodge. Le canal de Prêk Chik creusé en plein territoire
khmer, constituait déjà, aux yeux de certains, les limites provisoires de
l’empire viêt. Et bien que les textes historiques khmers ne mentionnent pas que
la frontière entre les deux pays se trouva désormais fixée au canal de Prêk
Chik[31]
car, comme toujours, aucun acte formel n’était venu sanctionner les
empiètements vietnamiens, ce canal, avec ses douanes et les colons vietnamiens
qui s’étaient installés spontanément le long de ses rives, sépara de facto le
Cambodge de sa basse région, et la grande province khmère de Treang vit sa
partie sud échapper peu à peu, mais d’une manière inéluctable, à l’autorité de
son gouverneur.
Malgré la volonté vietnamienne de les supplanter, les autorités khmères
tentaient de conserver au sein du royaume le Kampuchea Krom (Bas-Cambodge). Et
pour ce faire, elles continuaient à maintenir, aussi bien dans la region de
Preah Trâpeang que dans celle de Bassac une administration, dont la présence
est attestée jusque sous le règne de l’empereur vietnamien Minh Mênh
(1820-1841), dont nous savons en effet que ce monarque fit décapiter le
gouverneur de la province de Preah Trâpeang, le Cauhvāy Sruk nommé Guy, ce qui
entraîna de sanglantes révoltes[32],
et que pour ce qui est de la province de Bassac – où la Cour de Huê créa en
1835 la préfecture de Ba-xuyên et les trios districts de Phong-nhiêu, de
Phong-thanh et de Vinh-dinh, puis en 1839, le district d’An-xuyên[33]
– elle continua à payer, du moins pour sa population cambodgienne, des
prestations à la Cour khmère jusqu’au règne de la reine Ang Mi (1835-1841)
puisqu’on avait encore présent à l’esprit en 1851, la quantité de l’impôt en
riz parvenu de cette province aux magasins royaux : environ 20 000 tonnes[34].
Ceci prouve que la mainmise de la cour de Huê ne fut pendant longtemps que très
partielle, cette mainmise ne s’exerçant que sur des hameaux ou localités
peuplés de Vietnamiens. Mais dès lors, le Kampuchea Krom perdit son unité
géographique et devint une sorte de « peau de léopard », des enclaves peuplées
de Vietnamiens dépendant de Huê, le reste de son territoire dépendant d’Oudong.
Si au début, ces enclaves furent plus ou moins flottantes – la présence des
premiers colons vietnamiens, qui étaient surtout des pêcheurs et qui
s’installaient principalement sur les rives des cours d’eau, n’étant pas
définitive, mais périodique, ces colons quittant le pays à chaque révolte des
Cambodgiens et n’y revenant que lorsque la tranquillité était rétablie –
celles-ci devinrent au fil des ans plus stables. Avec l’arrivée de nouveaux
immigrants, ces enclaves devinrent plus nombreuses et celles déjà existantes
s’agrandirent. De ce fait, le territoire khmer s’amenuisa et, à cause des
imbrications des domaines khmers et vietnamiens, il est de plus en plus
difficile de tracer une frontière. C’est lorsque des pans entiers de territoire
furent aux mains des Vietnamiens que ceux-ci les annexèrent et créèrent à leur
profit des districts places sous une préfecture, établissant ainsi peu à peu
une nouvelle frontière.
L’effort d’expansion viêt en
direction du centre du Cambodge s’accentua à la suite de la mort du roi khmer
Uday Rājā (Ang Cand) (1834) et de l’accession au trône de sa fille Ang Mi
imposée par les Vietnamiens, qui entendaient purement et simplement annexer
tout le royaume khmer. Des forts vietnamiens s’élevèrent dans toutes les
provinces cambodgiennes – dont le fort de Tây-ninh dans Rong Damrei – en dépit
des mouvements de résistance qui éclatèrent contre l’occupant, et qui étaient
réprimés dans le sang. Mais la vietnamisation à outrance conduite par Truong
Minh Giáng, jointe à la déportation de la famille royale khmère en pays viêt,
provoqua à partir de 1840 un soulèvement général des Cambodgiens, non seulement
dans le Cambodge central, mais également dans le Kampuchea Krom, notamment dans
les provinces de Preah Trâpeang – sous la conduite de Desā Som – et de Bassac –
sous celle de Cauhvāy Sruk Kim –, ce qui met en évidence qu’à cette époque –
moins d’une vingtaine d’années avant l’arrivée des Français – cette partie des
rives du demeurait peuplée en majorité par des Cambodgiens qui luttaient pour
continuer à le rester, bien que des colonies vietnamiennes fortement appuyées
par les autorités de Huê s’y soient implantées[35].
L’arrivée au Cambodge en 1842 du prince Ang Tuon-Ang Duong appuyée par
les troupes siamoises ouvrit de nouvelles hostilités qui aboutirent en décembre
1845 à la rencontre de Po Bei, à l’issue de laquelle le Siam et le pays viêt
reconnurent Ang Tuon comme roi du Cambodge et évacuèrent le territoire khmer
qui se trouva de ce fait, après plus d’un demi-siècle, débarrassé de toute
présence de troupes étrangères sur son sol, du moins pour sa partie centrale.
Mais les chroniques royales du Cambodge ne font pas état, dans l’ordre du jour
des pourparlers entre les deux pays, de la question des frontières. Dans son
message à l’empereur Napoléon III, le roi khmer Hariraks Rāmā (Ang Tuon)
déclare pourtant que, à la suite de la demande de négociations faite par le roi
vietnamien, celui-ci avait fait la promesse que « les provinces cambodgiennes
enlevées par les Annamites » seraient « toutes restituées », ajoutant toutefois
qu’après la conclusion de celles-ci, le même roi vietnamien – Thiêáu Tri
(1841-1847) – déclara que les provinces enlevées au Cambodge ne devaient plus
obéir aux ordres du roi khmer ni lui payer tribut, ce qui en un sens, revient à
dire que la mainmise effective de Huê sur les territoires khmers du Kampuchea
Krom date, et cela en dépit des protestations du monarque cambodgien, de cette
époque de la fin des négociations précitées (1847).
Du règne de Hariraks Rāmā jusqu’à l’arrivée
des Français
On peut avoir une idée approximative de l’étendue du Cambodge et de ses
frontières sous le roi Hariraks Rāmā (Ang Tuon) en consultant la liste des
quelque cinquante-six provinces consignées dans les chroniques royales khmères[36].
Une sorte de mémoire historique écrit par « le vieux Mās » (né en 1828) fournit
aussi des données relatives. Cet auteur signale en effet qu’après les accords
mettant fin aux hostilités (1847), les Vietnamiens aussi bien que les Siamois
continuèrent à s’emparer des territoires khmers, précisent que les premiers prirent tout le
Cambodge méridional qui s’étendit, pour sa partie occidentale, jusqu’au canal
de Prêk Chik dans la province de Peam, et pour sa partie orientale « jusqu’à la
hauteur de Phnom-Penh »[37].
a) Bien qu’il
soit indiqué que le canal de Prêk Chik constituait la limite de
l’expansion viêt pour la partie occidentale, il est difficile de savoir si
chacun de ses deux tronçons formait ou non la ligne frontalière. Il est malgré
tout vraisemblable – puisque Peam Sdei (Tradeu)[38],
située sur la rive gauche du Fleuve Antérieur, demeura cambodgienne jusqu’au
règne de Narottam – que la ligne frontalière suivait le canal de Prêk Chik
depuis Peam jusqu’à Moat Chrouk, puis de ce poste frontière jusqu’à Peam Sdei
avant de s’enfoncer selon un tracé indéterminé dans la Plaine des Joncs. Il
faut cependant observer que ce canal, malgré le blocus des Vietnamiens – qui
prétendaient tout simplement être les intermédiaires des Khmers avec les
nations étrangères, et avaient de ce fait interdit son accès aux jonques de
commerce cambodgiennes – continuait à être franchi par les Khmers habitant tant
sur sa rive septentrionale que sur sa rive méridionale, et qui se refusaient à
le considérer comme une frontière.
En 1858, alors que les Français étaient en train d’opérer en pays
vietnamien, le gouverneur de la partie khmère de Peam, l’Ukañā Rājāsetátáhí
nommé Kaep, alla reprendre, sur ordre du roi Hariraks Rāmā (Ang Tuon), la
province de Treang Troey Thbaung (viêt. Tinh-biên), et aussi attaquer les
provinces de Bassac, de Preah Trâpeang, de Kramuon Sâr et de Moat Chrouk. Après
l’accession au pouvoir en 1860 du roi Narottam – le Norodom des ouvrages
européens – les chroniques royales khmères notent que ce monarque fit de ce
gouverneur son ministre de la guerre et lui confia de nouveau le commandement
des troupes opérant au sud canal de Prêk Chik[39].
Dans une note rédigée par Doudart de Lagrée, celui-ci indique que le gouverneur
Kaep, à la suite d’hostilités entre Khmers et Vietnamiens au sujet des cam et
des Malais, poursuivit les Vietnamiens, Cam et Malais jusque dans Treang Troey
Thbaung, s’y maintint, et envoya régulièrement le tribute à la cour d’Oudong «
sans objection de la part des Annamites », et cela jusqu’à l’arrivée des
Français[40],
ce qui revient à dire que depuis les événements de 1858 les Cambodgiens étaient
redevenus maîtres d’une partie de leurs anciens territoires situés au sud du
canal de Prêk Chik, notamment de cette province de Treang Troey Thbaung qui,
partant de la partie centrale du canal de Prêk Chik et englobant la région de
Svay Tong (Tritôn), s’étendait au moins jusqu’au Phnom Thom (viêt. Núi-sập) au
pied duquel coule canal de Krâmuon Sâr.
b)A partir de Peam Sdei jusqu’au Vaico
occidental, la frontière khméro-vietnamienne se confondait avec la Plaine des
Joncs, étendue de terre assez basse et le plus souvent noyée, donc généralement
peu habitée. Dans une lettre du roi Narottam à l’amiral de la Grandière date du
20 janvier 1864[41],
le monarque khmer fait l’historique de cette contrée en signalant que jadis,
alors que les Khmers et les Vietnamiens étaient alliés, ces derniers avaient
demandé d’établir une douane à Peam Phtea (viêt. Thong-binh) et une autre à
chih russei (viêt. Hong-nguyên) dans le but de surveiller les Vietnamiens
venant faire du commerce au Cambodge de façon à ce qu’ils n’aient pas de
querelles avec les Cambodgiens. Le roi khmer mentionne que les Cambodgiens
accédèrent à cette demande mais précise que les terres et les arroyos de la
région demeurèrent propriété des Cambodgiens qui continuèrent à payer des
impôts au roi d’Oudong. Ces terres, qui faisaient partie de la grande province
de Ba Phnom, s’étendaient depuis Peam Phtea jusqu’à Preah Chung Stung[42]
au sud, jusqu’à Peam Sdei à l’ouest, et jusqu’à Kok Dandêk, au-delà de Chih
Russei, à l’est. Cette lettre signale encore que six ans auparavant, en l’année
du Cheval, l’alliance ayant cessé – à la suite manifestement des hostilités de
1858 – les Khmers renvoyèrent les Vietnamiens des douanes de Peam Phtea et de
Chih Russei, qui partirent tous. Si on se réfère aux termes de cette lettre, la
contrée située au sud de la rivière de Peam Phtea (viêt. song Ba-dinh)
jusqu’aux plaines du sud, resta, jusqu’à l’arrivée des Français, placée sous la
juridiction cambodgienne. Doudart de lagrée lui-même reconnaît que si les
Vietnamiens avaient construit des forts sur la rive sud de la rivière de Peam
Phtea, ils en avaient été dépossédés au cours des
derniers
troubles (c’est-à-dire en 1858)[43].
c) L’appartenance au Cambodge des plaines situées au sud de la rivière
de Peam Phtea, qui faisaient partie du canton de Baray, entraînait aussi celle
d’une grande partie du Vaico occidental et de la contrée située entre les deux
Vaico. L’appartenance au Cambodge du Vaico oriental (le Tonlé Kampeap des
Cambodgiens), ou en tout cas d’une grande partie de son cours, est attestée
dans les chroniques royales khmères, ce dernier cours d’eau constituent en
quelque sorte la limite entre les provinces de Rumduol/ Svay Teap et de Rong
Damrei[44].
Mais ici encore, le point extrême sud-oriental par lequel devait passer la frontière
entre la province cambodgienne de Svay Teap et la province devenue vietnamienne
de Tân-an (khm. Kampong Ko) demeurait indécis. On peut toutefois penser que
cette frontière se confondait également avec la région des marais située un peu
au-dessus du Rach Bobo, ce dernier coupant en ligne droite la langue de terre
située entre les deux Vaico[45].
d) On a vu que d’après « le vieux Mās», la partie extrême de
l’expansion việt en direction du sud-est du Cambodge se trouvait à la hauteur
de Phnom-Penh, ce qui pourrait vouloir dire que cette partie extrême,
constituée certainement par un poste avancé vietnamien, se situait aux environs
de la citadelle de Tây-ninh sise dans la province de Rong Damrei. C’est en
effet en cette citadelle, élevée au moment où la Cour de Huế voulait s’emparer
de tout le Cambodge, qui constituait de fait le dernier poste avancé vietnamien
en pays khmer. Cette donnée nous est confirmée par les officiers français qui,
faisant état des événements de 1861, écrivent que cette citadelle était située
« sur les frontières du Cambodge »[46]
et qu’elle établit sur la rive gauche d’un ruisseau – la rivière de Tây-ninh -
« qui sépare les dernières colonies annamites des premiers villages des Chams
et des Cambodgiens »[47]. A cette date, elle fut abandonnée par les
Vietnamiens qui n’osaient pas la conserver « au milieu » des Cambodgiens qui
s’empressèrent à venir en aide aux Français en les engageant à occuper ce fort[48].
Pour sa part, Savin de Larclause, qui fut en poste dans le cercle de Tây-ninh à
partir de 1863, laisse entendre, dans ses nombreuses lettres à sa famille,
qu’il vivait dans ce cercle bien plutôt en milieu cambodgien qu’en milieu
vietnamien[49],
ce qui porte à croire que l’un des arrondissements de ce territoire – le
Tân-ninh – faisait en réalité partie du Cambodge, bien qu’officiellement cet
arrondissement fût incorporé dans les possessions françaises[50].
En fait, lorsqu’il fait la description du cercle de Tây-ninh en 1865, Savin de
Larclause le divise en deux arrondissements distincts : le Tân-ninh au nord et
le Quang-hoà au sud, et dit nettement : « A tous les points de vue, ces deux
arrondissements diffèrent beaucoup l’un de l’autre : ce ne sont ni les mêmes
populations, ni les mêmes naturelles, ni les mêmes cultures, ni les mêmes
idées. Quang-hoà est exclusivement peuplé d’Annamites ; au contraire dans le
Tân-ninh, la population cambodgienne domine[51].» La frontière entre Tây-ninh et le Cambodge
était donc, au moment de l’arrivée des Français, celle le Quang-hoà, et le Tân-ninh, ce dernier territoire – auquel
les Vietnamiens, précise Savin de Larclause, ne semblaient jamais s’être
beaucoup intéressés, et qui possédait ses propres autorités khmères[52]
- s’étendant, faisant suite aux provinces khmères de Ba Phnom et de Thbaung
Khmum, jusqu’à quelques kilomètres au-dessus de Trâng-bang sur la rive gauche
du Vaico oriental et jusqu’au confluent de la rivière de Thịtinh avec la
rivière de Saigon sur la rive droite de cette dernière rivière. La ligne
frontalière, passant naturellement au-dessus de Tây-ninh et continuant celle
entre la province khmère de Svay Teap et la province vietnamienne de Tân-an,
remontait d’abord le Vaico oriental – tout en s’écartant plus à l’est de ce
cours d’eau à quelques kilomètres au-dessus de Tráng-bàng – jusqu’à la rivière de
Tây-ninh dont elle suivait le cours jusqu’au fort de ce nom, avant de
redescendre au sud-est, longeant la rivière de Saigon, jusqu’au confluent de
cette rivière avec la rivière de Thị-ninh.
e) Selon Paulin Vial, ce sont les Cambodgiens établis au nord de
Saigon, « sur la frontière » des possessions françaises, qui avaient prévenu
les Français, en 1861, de la situation du fort de Tây-ninh[53].
Selon lui, l’occupation de ce point par les Français entraîna des relations
suivies entre ces derniers et les Cambodgiens. Le « nord de Saigon », domaine
des Cambodgiens, couvrait une région assez vaste et s’étendait – faisant suite
au Tân-ninh – de la rivière de Saigon jusqu’au-delà du song Bé (le Tonlé Bakden
des Cambodgiens) pour englober le Phnom Chœung Preah (viêt. Núi Bà-rà) situé
sur la rive droite de la rivière précitée. En fait, Phnom Chœung Preah
constituait, avant l’arrivée des Français, et surtout avant la révolte de Bo
Kampor, une province cambodgienne qui relevait du gouverneur de la province de
Chœung Badèng, qui lui-même relevait aussi d’un dignitaire d’Oudong[54].
Mais ici encore, la frontière demeurait toujours imprécise et toujours
mouvante. On peut observer toutefois que d’après plusieurs documents d’origine
française (rapport de l’inspecteur Rheinart qui constate que le domaine khmer
couvrait une grande partie de la province de Thủdầumôt[55],
carte de la Cochinchine établie par Bigrel, sur laquelle des localités
habituées par des Cambodgiens sont signalées dans la vaste contrée située au
sud Phnom Chœung Preah, entre le sông Bé et le sông Ma-da[56],
cartes plus récentes sur lesquelles des toponymes purement cambodgiens ou
d’origine cambodgienne sont parfaitement reconnaissables autour de la
délégation de Hòn-quan créée sur un territoire « occupé anciennement [par] les
Cambodgiens »[57]
en 1898), cette frontière, partant du confluent de la rivière de Thị-tinh avec
la rivière de Saigon, pouvait, à l’époque de l’arrivée des Français – et cela
d’une manière très approximative, les points cités étant seulement des repères
– remonter la rivière de Thị-tinh pour se diriger ensuite vers le nord-est en
passant par la région de Chón-thành puis en traversant le sông Bé aux environs
de Sốc-nha-bích, redescendre encore vers le sud-est en passant par la région de
An-bînh/Thanh-công, avant de suivre enfin le cours du sông Ma-da. Il n’est pas
possible de savoir si une présence de Cambodgiens, ou une influence de ceux-ci,
pouvait être constatée au-delà de cette rivière jusqu’au fleuve même de Daung
Nay.
f) Plusieurs provinces
septentrionales du Cambodge ayant été sous la mainmise des Siamois, les
frontières orientales du Cambodge à l’époque de l’arrivée des Français étaient
donc celles séparant les provinces khmères de Thbaung Khmum, Chhlong, Kanhchor,
Kratié, Samboc et Sambaur des province vietnamiennes de Binh-thuân, Khánh-hoà,
Phú-yêu, et peut-être aussi Bình-định, ces frontières étant constituées par les
derniers contreforts de la Chaîne Annamitique, qui s’étendaient du plateau dit
de Kontum au nord, jusqu’au Haut-Ðồng-nai au sud, en passant par les régions du Darlac et de Lang-biên.
C’était un vaste hinterland peuplé de minorités proto-indochinoises dont
quelques-unes étaient tributaires du roi khmer, quelques-autres du roi de Huế,
et enfin d’autres encore indépendantes. A diverses reprises, cet hinterland, du
côté cambodgien, fut visité par des missionnaires. En 1851, le P. Bouillevaux,
parti de Samboc, séjourna d’abord chez les Phnongs soumis au Cambodge, puis à
Puteang, chez les « sauvages indépendants » où pourtant il rencontra nombre de
Cambodgiens endettés qui y vivaient et y prenaient femme, et enfin à Tinju où
il trouva un missionnaire européen et deux prêtres vietnamiens. Parlant des
frontières khméro-vietnamiennes, le P. Bouillevaux dit que celles-ci n’étaient
pas bien délimitées et qu’à proprement parler elles n’existeraient même pas,
tout en précisant que la Cour khmère étendait sa juridiction plus ou moins loin
selon les circonstances[58].
Quelque neuf ans plus tard, H. Mouhot, parti de Peam Chileang, se rendit aussi
vers le glacis oriental du Cambodge. Après avoir dépassé Pump-ka-Daye, « hameau
à l’extrême frontière », il arriva à Brelum (khm. Rolim) situé à près de
cinquante lieues de Peam Chileang. Cette localité, donnée comme habitat des
Stiengs, est formellement rapportée comme étant située en dehors du domaine
việt, plus exactement au nord-est de « la zone forestière que les haines des
races ont ménagée entre les tribus du Mékong et l’empire annamite, sorte de
marche déserte dont les tigres seuls font la police »[59]. Il faut souligner en tout cas que pour cette
partie de la rive gauche cambodgienne du Mékong, les Vietnamiens ne
s’implantèrent pas militairement dans les zones montagneuses des minorités, ce
qui exclut donc pratiquement tout contact direct entre le royaume khmer et le
pays việt, les frontières de ce dernier pays ne dépassant généralement pas les
plaines côtières de la mer de Chine.
A partir du XVIIe siècle et jusqu’à l’arrivée des Français,
on note quatre grandes phases de modifications de la frontière
khméro-vietnamienne. Mais la majeure partie des Nguyên demeura peuplée de
Khmers qui conservaient leurs propres autorités, les enclaves et les postes
vietnamiens se trouvant le plus souvent en des points névralgiques :
- Perte par le Cambodge des territoires se trouvant dans la région
allant de Daung Nay/ Barea/ Prei Nokor vers la fin du XVIIe siècle
et le début du XVIIIe siècle.
- Perte des territoires se trouvant dans la région allant de Prei Nokor
à Rong Damrei (aux environs de Trâng-bang), et dans celle allant de ce même
Prei Nolor à Koh Tèng durant la première moitié du XVIIIe siècle,
avec extension possible, mais non définitive, des Vietnamiens dans la région de
Peam Mésâr/ Longhor.
- Affermissement et extension des implantations vietnamiennes sur des
territoires se trouvant sur la rive gauche du Fleuve Antérieur (de Koh Hông/
Peam Mésâr jusqu’à Koh Tèng) et aussi sur une notable partie de sa rive droite
(région de Longhor/ Phsa Dêk) Durant la deuxième moitié du XVIIIe
siècle.
- Perte par le Cambodge des territoires se trouvant dans la partie
méridionale des bouches du Mékong, dans une grande partie du Transbassac et
dans une partie de la province de Rong Damrei durant la première moitié du XIXe
siècle.
Au cours de ces trois siècles, la frontière khmère a donc sans cesse
reculé devant l’expansionnisme de la Cour de Huế qui, profitant du fait que ses
ressortissants n’hésitaient pas à émigrer au Cambodge et à s’approprier les
terres sur ils s’étaient installés, annexait unilatéralement ces territoires.
Pratiquant une politique d’interventionnisme, les Vietnamiens ont aussi
exploité au bénéfice de leur impérialisme les querelles entre princes khmers
dont certains, pour se saisir du pouvoir, n’hésitaient pas à solliciter l’aide
de Huế, ce qui les rendait, une fois sur le trône, totalement dépendants des Vietnamiens,
qui pouvaient alors agir avec le Cambodge comme ils le voulaient et repousser
arbitrairement la frontière vietnamienne loin à l’intérieur du territoire
khmer.
Pendant ces trois siècles, la Cour de Huế s’est conduite comme si la
frontière khméro-vietnamienne avait été une simple limite administrative
restant continuellement ouverte à ses ressortissants et, en la modifiant selon
son bon vouloir, elle n’a jamais pris en compte les réalités humaines. En
déplaçant la frontière, elle laissait au Cambodge les zones exclusivement
peuplées de Cambodgiens et elle annexait celles où se trouvaient quelques
villages vietnamiens, mais dont le peuplement était aussi en majorité khmer.
Ces découpages, qui firent toujours totalement abstraction des liens ethniques
existant entre les habitants des deux côtés de la nouvelle frontière,
expliquent les nombreuses révoltes des Khmers passés sous tutelle vietnamienne,
qui n’acceptaient pas leur nouvelle situation, d’autant qu’ils étaient largement
majoritaires dans les régions annexées[60].
Tout ceci explique qu’au cours de ces trois siècles, le peuple khmer
dans sa totalité ait toujours refusé de reconnaître les frontières
artificielles qui le séparaient, frontières dont le tracé ne s’appuyait sur
aucun accord bilatéral et qui n’étaient que le résultat d’une simple décision
unilatéral de la Cour de Huế, impose par la force.
Mak
Phoeun
Ω Ψ Ω
[1] Cf. la contribution de Po Dharma sur la frontière entre le Campā et le
Viêtnam.
[2] Cf. H. Maitre, Les Jungles Moi, 1912,
p. 456.
[3] Cf. F. Garnier, BSGP, 1871, p. 254.
[4] Il est bien difficile de déterminer les
statuts exacts de ces douanes. On peut retenir que de telles cessions ont eu
lieu aussi au XIXe siècle. Selon une lettre du roi Khmer Narottam
(Norodom) du 20 janvier 1864, ces sortes de douanes situées en territoire
cambodgien et cédées aux Vietnamiens sur leur demande, étaient destinées à «
veiller à ce que les Annamites, faisant du commerce avec les Cambodgiens,
n’aient pas de querelles avec eux, parce qu’ils étaient alliés » (A.B. de
Villemereuil, 1883, p. 127).
[5] VJ et P63 (cf. Mak Phœun, Chroniques royales
du Cambodge (1594-1677), 1981, P.152 & 305).
[6] Mak Phœun & Po Dharma, BEFEO,
1984, p. 285-318.
[7] P57, VI, p. 87.
[8] P57, VI, p. 121. Les chroniques
royales VJ et P63 disent qu’au moment de l’attaque de vietnamienne de 1731, les
troupes de Huê attaquèrent les provinces frontalières de Barea et de Daung Nay,
dont les gouverneurs informèrent leur souverain, ce qui laisse donc à croire,
selon ces chroniques, que ces gouverneurs khmers étaient encore présents à
leurs postes à cette date (VJ, V, p. 529; P63, VIII, p. 42).
[9] GDTTC, Tâp Trung, p.12 ;
LTHCLC, I, 1972, p. 367 ; DNNTC, 1973, p. 2; LTTK, I,
1975, p. 153-154 ; DNTLTB, I, p. 153-154 ; PBTL, 1964, p. 58. C’est en 1700 que la province de « Dou-nai »
est citée par les missionnaires étant la « dernière extrémité » du royaume
cochinchinois (A. Launay, 1923, I, p. 441).
[10] GDTTC, p. 13 ;
PBTL, 1964, p. 60 ; 1972, p. 108.
[11] P57, VI, p. 229.
[12] Litt. « Parc aux éléphants ». Le site exact
de Rong Damrei serait au sud-est de l’actuelle Tây-ninh et devrait correspondre
à l’emplacement du camp retranché situé entre Saigon et Tây-ninh et signalé en
1874 par P. Vial (cf. P. Vial, 1874, I, p. 182 ; E. Aymonier, 1900, I, p.
136-137). Ce site serait peut-être celui-là même établi sur la « Route des
Ambassadeurs », non loin de Trâng-bang, et décrit par L. Malleret (Archéologie
du delta du Mékong, 1963, IV, p. 88).
[13] VJ, V, p. 552 ; P63, IX, p. 5 ; P57, VI, p.
237 ; P48, III, P. 51-52 ; etc. Pour les données vietnamiennes cf. DNTLTB,
I, p. 221.
[14] J. Moura, Le royaume du Cambodge,
1883, II, p. 79.
[15] A. Launay, Histoire de la mission de Cochinchine (1658-1823), 1924, II, p.
364-373.
[16] A. Launay, 1924, II, p. 373-374.
[17] Fils et successeur du Chinois Mac Cúu, qui
avait reçu de la cour d’Oudong le gouvernent de la province cambodgienne de Peam
(viêt. Hà-tiên). Selon les Vietnamiens, Mac Thiên Tú était tributaire de Huê ;
on devra cependant observer que le territoire placé sous son administration ne
faisait pas partie du domaine des Nguyên (cf. infra pour l’annexion de
ce territoire par Huê). Pour les missionnaires, le roi khmer était toujours en
1769 souverain du gouverneur de Peam bien que ce dernier ait « presque
entièrement » secoué son autorité (Cl. E. Maitre, 1913, p. 187) ; en 1776, Mgr
d’Adran note que ce gouverneur était feudataire «du roi de Cochinchine, et en
même temps de celui du Cambodge » (Cl. E. Maitre, 1913, p. 336). Pour les
Cambodgiens, ce gouverneur était un haut dignitaire khmer et son territoire
faisait naturellement partie du Cambodge.
[18] DNTLTB, I, p.
225-226 ; PBTL, 1964, p. 63-65 ; GDTTC,
Tâp trung, p. 16-17 ; etc.
[19] A. Launay, 1924, II, p. 441.
[20] A. Launay, 1924, II, p. 434-438 ; pour la
première partie du journal de ce Père, cf. p. 387-393.
[21] VJ, V, p. 614 ; P63, IX, p. 71-72 ; P57, VII, p. P48, III, p. 57 ;
etc.
[22] VJ, VI, p. 647 ;
P63, X, p. 6 ; VII, p. 19 ; III, p. 26 ; KK, II, p. 21.
[23] A. Launay, 1925,
III, p. 67.
[24] A. Launay, ibid ; Cl. E. Maitre, 1913,
p. 339-341 ; cf. aussi la lettre du P. Loir dans A. Launay, 1925, III, p. 16.
[25] M. Pait, BSEI, 1974, p. 112-113 ; cf.
aussi Th. & Ch. Flood, 1978, I, p. 152.
[26] G. Aubaret, 1863, p. 143 ; DNTLCB, II,
p. 161 laisse entendre que le roi du Cambodge continua à percevoir les impôts
par cette province (1792).
[27] P63, IX, p. 93 ; VJ, VI, p. 736.
[28] Il faut entendre par ce nom, outré la
province de Preah Trâpeang proprement dite, d’autres provinces du Kampuchea
Krom telles Bassac, Tuk Khmau et Krâmuon sâr.
[29] Cf. Ch. Meyniard,
1891, p. 429-432 ; H. Cordier, 1909, p. 690-692 ; Rois du Kampuchea…,
1957, p. 3-5 ; Th. & Ch. Food, 1965, p. 167-172. Symptomatique de cet abandon progressif de la
souveraineté khmère sur l’extrême sud du Kampuchea Krom, la chronique royale
ME, faisant état des provinces khmères sous le règne effectif de NaÆraÆy(ná) RaÆmaÆ(Ang En) (1794-1797), ne cite dans le Kampuchea Krom que les provinces
de Peam, de Treang et d’Omor (viêt. Long-xuyên) et Prêk Russei (viêt. Cân-thò)
– mais passe sous silence les autres provinces (M. Piat, 1974, p. 118-122).
[30] DNTTC, 1973, p. 40-41 ; TL, XXXIX, p.
17 ; GDTC, p. 64 ; cf, aussi C.-B. Maybon, Histoire moderne du pays d’Annam
(1592-1820), 1919, p. 353.
[31] VJ, VI, p. 786 ; B39/12/B, III, p.
9 ; P48, p. 89 ; KK, III, p. 25.
[32] L. malleret, 1963, IV, p. 28-29 ; Monographie
de province de Tra-Vinh, 1903, p. 31-32 ; pour une version vietnamienne,
cf. G. Aubaret, 1863, p. 238-239.
[34] « Notes to
Accompany a Map of Cambodia », JIAEA, May 1851, V, p. 310.
[35] Cf. Trin Na, PravattisaÆstr
Khmaer, 1974, II, p. 155-156 ;
Monographie de la province de Tra-Vinh, 1903, p. 32-33 ; Monographie de la
province de Sóc-Tráng, 1904, p. 65.
[36] Sur ces provinces, cf. P48, IV, p. 124-125 ;
KK, IV, p. 9-11 ; P63, XI, p. 75-75 ; VJ, VII, p. 834-837.
[37] Ríœnæ pandáaÆmám taÆ maÆs, 1908, p.7.
[38] Lettre du gouverneur de la Cochinchine du 6
novembre 1865 (citée par Sarin Chhak, Les frontières du Cambodge, 1966, I, p. 125-126).
[39] VJ. VII, p.
853-863 ; P48, IV, p. 137 ; KK, IV, p. 21. Le nom exact en khmer su site de Tinh Biên est Kampong
Krâbau. En 1869, le géologue M. A. Petiton fait état encore du « fort
cambodgien de Tinh Biên » et réclame un « guide parlant cambodgien » pour
pouvoir travailler dans ce pays (M. A. Petition, 1895, p. 31-32).
[40] A. B. de Villemereuil, 1883, p. 77-78. Les
opérations de Karp ont certainement un rapport avec les insurrections khmères
dirigées par les adjoints de l’ancien gouverneur de Bassac nommé Lim, qui
tentèrent en 1859 de secouer à nouveau le joug vietnamien et qui mirent en
déroute en 1860 des troupes vietnamiennes. D’autre insurrections khmères se
produisirent par la suite sans interruption jusqu’à l’installation des Français
dans cette province, celle-ci étant faite d’ailleurs avec la participation
active des Cambodgiens. A cette époque, les Français remplacèrent partout les
chefs et les sous-chefs de canton par des fonctionnaires cambodgiens (Monographie
de la province de Sóc-Trăng, 1904, p. 66-67 ; A Forest, 1980, p. 434).
[41] A. B. de Villemereuil, Explorations et missions de Doudart de Lagrée, 1883, p. 127-129.
[42] Situé naturellement dans la Plaine des Joncs
(litt. « Bouddha de l’extrémité de la rivière »). S’agit-il ici d’un des
affluents de la rivière de Peam Phtea qui passe justement par le site de ce
nom, c’est-à-dire en l’occurrence le Rach Cai-ca des Vietnamiens ? Cette partie
du territoire khmer située au sud de la rivière de Peam Phtea faisait partie du
canton de Baray, partie sud de la province de Svay Teap.
[43] Les limites exactes, difficiles à déterminer,
étaient peut-être situées aux environs du temple khmer de Prasat Pram Lovêng
(région de Tháp-múói), oú des Vietnamiens s’enfermèrent pour résister aux
Français. Parlant de cette résistance (1865), p. Vial note que le remuant chef
de bande Thiên-hôá (Dúóng) vivait dans la Plaine des Joncs, « sur la frontière
de Mirtho » ; or le dernier fort de ce chef de bande à tomber aux mains des
Français fut celui de Tháp-múoi, qui fut évacué à la suite de la prise du fort
de Dôn-ta (P. Vial, 1874, II, p. 29 & 49).
[44] Cf, VJ, VII, p. 869 & 874-875 ; KK, IV,
p. 26-28 ; P48, IV, p. 140-143 ; cf. aussi Sarin Chhak, 1966, I, p. 68, n. 25.
[45] Sur la rive droite du Vaico oriental, le peuplement
khmer s’étendait jusqu’à un point situé au-dessous de la hauteur de Trâng-bang
puisque lors des opérations de Po Kambor entre les deux Vaico en 1867 jusqu’à
la hauteur de cette agglomération, le gouverneur cambodgien Soc et des familles
cambodgiennes furent refoulés plus au sud, tandis que certaines de celles-ci
traversèrent le Vaico oriental pour venir se mettre à l’abri sur l’autre rive
(P. Vial, 1874, II, p. 105).
[46] 46. L.Pallu de la Barrière, 1888, p. 107 ;
cf. aussi E. Cortambert & L. de Rosny, Tableau
de la Cochinchine, 1862, p. 41.
[47] 47. P. Vial. Les premières années de la
Cochinchine, 1874, I, p. 93 et aussi II, p. 67.
[48] 48. P. Vial, 1874,
I, p. 171.
[49] 49. Cf. A.
Baudrit, 1939, BSEI, p. 155-156 &
p. 174.
[50] 50. Il faut observer ici que lors de l’arrivée
des Français en Cochinchine, ces derniers s’appuyant alors sur des interprètes,
des mandarins et des documents vietnamiens, regardent la frontière
khméro-vietnamienne avec les yeux des Vietnamiens. Et alors que cette frontière
était mouvante, ils la fixent suivant les notions européennes, entérinant ainsi
les prétentions vietnamiennes qui ne visent qu’à englober dans le domaine việt
la plus grande partie possible du territoire khmer. Confirmant cette mouvance
de la frontière, le géologue M. A. Pétition écrit en 1868 que le village
cambodgien de Soc-hai-dông, situé à l’extrémité nord-ouest du pied de la
montagne de Phnom Chœung Badèng (viêt. Núi-ba-đinh), « n’appartient pas, je
crois, à la France, quoiqu’il soit compris en deçà de la ligne fictive des
frontières » (M. A. Petition, 1895, p. 89-94).
[51] 51. A. Baudrit, 1939, p. 214-220. Bien après
l’arrivée des Français, J. Moura, en parlant de la province de Chœung Badèng –
du nom de la montagne de ce nom – laisse entendre qu’elle était cambodgienne,
puisqu’il écrit qu’elle était « limitrophe de notre arrondissement de Tâyninh »
(J. Moura, 1883, I, p. 15 & II, p. 159) ; de son côté, E. Aymonier, en
parlant du district de Thbêng You (dans Tây-ninh), écrit qu’il faisait partie durant
la première moitié du XIXe siècle de la province cambodgienne de
Thbaung Khmum (E. Aymonier, 1900, I, p. 281).
[52] 52. Sur la situation de Tây-ninh avant les
travaux d’abornement de 1870, cf. Sarin Chhak, I, 1966, p. 63-68.
[53] P. Vial, 1874, I, P. 93 & 171.
[54] Cf. la lettre du balat Ung et du Mésroc
Chrung du 5 mai 1898 citée par Sarin Chhak, 1996, p.98-100 ; pour la situation
de cette province vers 1884, cf. H. Maitre, 1912, p. 84-85 & p.494.
[55] Sarin Chhak, 1966, I, p. 96 ; d’après une
lettre du 23 mars 1872, ce même inspecteur de Tây-ninh precise qu’il ne faut
pas oublier que depuis tây-ninh, « le pays a été cambodgien jusqu’à Biênhòa »
(p. 79, n. 49).
[56] Cf. la réduction de cette (1872-1873) publiée
dans L, -E. Louvet, La Cochinchine
religieuse, 1883, II ; Bouinais & Paulus, L’Indo-chine Françaises Contemporaine, 1885.
[57] « Cochinchine » in Madrolle, Indochine du sud, 1926, p. 30.
[58] C. E. Bouillevaux, 1858, p. 190 & 257-263
; 1874, p. 86 & 147-157.
[59] H. Mouhot, 1868, p. 146-166 ; c’est dans
cette région de Brelum que s’étaient réfugiés les prétendants Khmers Bo Kampor
– ce qui causa la ruine de la mission de Brelum – et Sī Vatthā, plus
précisément à Chrey Meang (Poh Jermang), région dans laquelle H. Maitre, lors
de son passage, put encore voir ses rizières situées « sur la route de Sré-Ktum
à Budop, un peu avant d’arriver à ce poste » (H. Maitre, 1912, p. 90). Les
Stiengs de Brelum étaient considérés comme étant tributaires de la cour khmère
(J. Moura, 1882, p. 307 ; Septans, 1882, p. 541).
[60] Au moment de l’arrivée
des Français, la colonisation vietnamienne n’avait pas encore sérieusement
abordé le territoire qui devait devenir la Cochinchine Occidentale (cf. P.
Gourou, 1940, p. 139) et l’aménagement de cette partie de l’ancien territoire
khmer fut essentiellement l’œuvre de la France (cf. Ch. Robequain, in S. Lévi,
1931, I, p. 31). Encore vers les années 1920, le peuplement vietnamien du
Transbassac demeurait limité et dépassait à peine les groupements khmers
localisés autour de Svay Tong (viêt. Tritôn) et du Massif des Sept-Montagnes
(cf. B.–P. Grislier, Cahiers d’Outre-Mer,
1973, p.362).
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